Le Passe Muraille

C’est Arlequin qu’on déporte

   

Retour à la destinée tragique de Max Jacob, autant qu’à son legs poétique,

par Jean-Pierre Vallotton

Car la grande affaire est la mort. Et la façon dont on s’en sort… Mais on n’en sort pas toujours — ou parfois de façon ignoble. C’est ce que nous ont rappelé récemment les rescapés d’Auschwitz. Parmi les nombreuses victimes de l’antisémitisme: un poète, Max Jacob. Arrêté le 24 février 1944 à Saint-Benoît-sur-Loire (où il s’était définitivement retiré depuis sept ans), il meurt d’une pneumonie au camp de Drancy le 5 mars. Il était âgé de 67 ans.

Ces tristes événements sont relatés avec précision dans un petit livre, L’Amitié (1) qui propose une série de lettres inédites du poète (grand épistolier s’il en fut) à son ami le comédien Charles Goldblatt. Etayé de nombreux documents (fac-similés, photographies, coupures de presse de l’époque), cet ouvrage constitue donc également un petit dossier relatif aux conditions de survie dans les camps.

Parmi les émouvants témoignages sur la fin du poète, celui d’un médecin, également interné, qui se rappelle l’humilité et la ferveur religieuse de Max Jacob, qui insista, tout en s’excusant auprès de ses compagnons juifs, pour être inhumé selon les rites catholiques, car il s’était converti en 1915, suite à plusieurs visions du Christ (sur le mur de sa chambre, puis… sur un écran de cinéma: «Vous allez donc au cinématographe ?», lui demanda son confesseur, un peu choqué. «Eh ! mon père ! Le Seigneur n’y est-il pas venu ?», répliqua Max).

Cette anecdote est révélatrice de la personnalité aux multiples facettes de Max Jacob, cocasse et magnifique comme le rêve, ainsi que l’a joliment dépeint Jean Cocteau. Tour à tour mondain et mystique, bateleur et pénitent (sans maillot rose), parisianiste et exilé, le poète, qui a toujours voué un culte à l’Amitié, a été de toutes les aventures artistiques de son temps — quand il ne les a pas devancées ! Peintre cubiste au Bateau-lavoir, il a pour voisin Picasso, qui sera son parrain lors de sa conversion. En 1917, il est choriste dans la pièce d’Apollinaire, Les mamelles de Tirésias, sous-titrée drame surréaliste, un adjectif qui n’allait pas tarder à faire son chemin ! La même année, il publie à compte d’auteur ce qui va devenir son ouvrage le plus célèbre, Le Cornet à dés, recueil de poèmes en prose qui ne manquera pas d’impressionner, précisément les surréalistes. Parallèlement à sa peinture qui lui permet de vivoter, il continue à publier de nombreux ouvrages qui finissent par lui assurer une certaine renommée: poèmes, pièces, romans se succèdent. Quoiqu’au nombre de huit, ceux-ci restent peu connus. Toutefois, Filibuth ou La montre en or vient d’être réédité en collection de poche’. On y suit les péripéties liées à une montre de valeur, convoitée par plus d’un, qui passe de main en main (ou de main en poche), de Paris à New York, après avoir fait halte à Venise. Dans le fond, les récits de Max Jacob sont moins poétiques qu’on ne pourrait s’y attendre; on sent qu’ils représentent davantage pour lui l’occasion de brosser un tableau burlesque et plutôt pessimiste de l’humanité. Avec Filibuth, nous sommes plus proches, en somme, du Cousin Pons que de L’Homme de la Pampa, car il y a du Balzac en Max Jacob, qui prend un plaisir malicieux à dépeindre en détails les manies, les particularités langagières et les petits travers de ses semblables — ce que fera également Joë Bousquet dans son Médisant par bonté (ouvrage disponible dans la même collection).

Suite à la publication de tant d’ouvrages posthumes, on peut s’étonner, cinquante ans après la publication de l’auteur du Laboratoire central, de voir paraître encore deux volumes d’inédits ! L’Echelle de Jacob (3)pourrait être une excellente introduction à son oeuvre, car à peu près tous les genres qu’il a pratiqués y sont représentés: poèmes en vers ou en prose, petits dialogues, contes, correspondance, conférence, et puis ces fameuses méditations religieuses qu’il se fera un de-voir de rédiger quotidiennement durant des années. Le tout agrémenté de reproductions de ses oeuvres picturales.

Sous le titre plus banal de Poèmes épars, suivi de Le Cornet à dés II (Une suite) 4, c’est plus d’une centaine de textes et fragments qui nous sont offerts. Chacun, selon ses goûts, y trouvera son bonheur, car le poète donne aussi bien dans le médita-tif que le comique, le calembour ou la subtile métaphore, là où tragique et burlesque finissent par s’épouser:

J’aime bien ce qui est solide.
Ceci dit, il ferma les yeux et mourut.

J.-P. V.

1. Le Castor astral, 1994.
2. Gallimard, coll. «L’Imaginaire», 1994,
3. La Bibliothèque des Arts, 1994.
4. La Différence, coll. «Orphée». 1994.

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