Le Passe Muraille

Aventuriers du sens perdu

 

À propos du Triomphe des éléphants de Claude Delarue,

par René Zahnd

Cette histoire se déroule au Sri Lanka. Terre de forces mystérieuses et ancestrales, qui avait déjà, parmi d’autres, fasciné Nicolas Bouvier (Le Poisson-Scorpion). Mais terre aussi de violence et de conflits, avec la guérilla entre l’armée gouvernementale et les séparatistes tamouls.

Claude Delarue a choisi d’y situer son dernier roman, Le Triomphe des éléphants. Il ne s’agit pourtant pas d’une quelconque tentation exotique. D’une part l’écrivain sait nourrir son récit de ces mille riens qui rendent l’atmosphère d’un lieu. D’autre part, les événements narrés ne semblent possibles qu’en de tels territoires: une île régie par ses lois propres, avec son climat, sa population, son identité aux confins de la raison.

Poursuivant des fouilles, un archéologue du nom Bruce McVickar met au jour, en pleine jungle, les restes d’une cité sacrée. Dans un sanctuaire, il découvre une relique singulière, qui se révèle être rien moins qu’un testicule. L’affaire serait déjà extraordinaire si l’équipe de chercheurs ne trouvait encore une immense dalle couverte d’inscriptions. Pour décrypter le «Livre de pierre», McVickar va recourir aux talents de Simon Bowmore.

Ce dernier, personnage remarquablement brossé, est un orientaliste doué, capable d’interpréter les Claude Delarue Seuil textes les plus abscons. Lorsque le temps a ruiné les gravures rupestres, il procède par lecture tactile. Son travail prend alors des airs de cérémonie. Mais, outre ses qualités exceptionnelles, Bowmore traîne avec lui de profonds doutes, ainsi qu’un passé marqué par le décès de sa femme, qu’on l’a accusé d’avoir assassiné.

A tout cela s’ajoutent d’autres personnages: en particulier une femme énigmatique appelée La Malaise — qui finira comme de bien entendu par jouer un rôle central — et le superbe chauffeur da Silva. Les événements se succèdent, se précipitent même, dans un climat d’insécurité où tout paraît échapper aux individus.

Par certains côtés, Le Triomphe des éléphants affiche des allures de roman d’aventure. Il en possède le souffle et le suspens. Mais surtout, Claude Delarue, comme dans ses précédents livres, y témoigne d’une puissante réflexion, dont ses personnages se trouvent investis. McVickar, dynamique chef de mission depuis des décades, ne rêve que de s’enfoncer dans la jungle pour s’y perdre. Quant à Bowmore, représentant désabusé de l’Europe, il cherche un sens à son existence, obsédé par l’idée de créer et d’agir.

Ce n’est pas la première fois que Delarue utilise l’archéologie (La Mosaïque) ou le déchiffrage de textes anciens (L’Herméneute) pour exposer son propos. A travers ces métaphores, il paraît tenter une lecture de l’aventure humaine et s’interroger sur la notion même de civilisation. Les thèmes qu’il embrasse contrastent singulièrement, par leur ampleur, avec certaine mode du détail — voire de l’insignifiant — et de l’égotisme qui prévaut à l’heure actuelle. On s’en réjouit d’autant plus qu’avec ses enjeux, Le Triomphe des éléphants reste un plaisir de lecture.

R.Z.

Claude Delarue, Le Triomphe des Eléphants, Seuil, 1992.

A lire ou à relire: L’Herméneute ou le livre de cristal, Collection Poche suisse, L’Age d’Homme, 1992.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *