Le Passe Muraille

Avec trilles et tremblements

Sur Le conservatoire d’amour, de Rose-Marie Pagnard,

par Pierre-Yves Lador

Un ton singulier, léger même, un poème romanesque qui évoque Ravalec, E.T.A Hoffmann et le romantisme allemand, Lewis Carroll, assurément ; une odyssée brève, une quête, une enquête, un secret de famille, le chemin des écolières ou simplement l’accomplissement d’un désir, d’un destin ? C’est avec plaisir que l’on se retrouve et se reperd dans l’étrange ambiance qui sourd du nouveau roman échevelé de Rose-Marie Pagnard.

Deux sœurs joueuses de flûtes, Gretel, la narratrice atteinte d’une autoécholalie partielle, sa sœur Gretchen, amoureuse de leur frère Hänsel décident d’aller au Conservatoire de la ville voisine fréquenté déjà par Hänsel, même si leur père refuse son autorisation. La fratrie habite une masure désignée de l’appellation de château, les parents sont aussi étranges : Pelva la mère à demi-folle et Emilio Gesualdo-Von Bock fabricant de lits « Etoile de vos nuits ».

La réalité est enchantée par cette narratrice et sa soeur que rien n’arrêtera et que leur candide assurance conduira à travers rencontres, épreuves, révélations, peurs, grâce à leur persévérance, à leur but. Les scènes les plus inquié-tantes se succèdent, les gestes les plus incongrus, le gardien des clefs, Grodeck, qui arrache les boutons de sa blouse avant de se déboutonner, Klara Swan, la fille du propriétaire du Conservatoire offre une vue de ses seins en se penchant, comme Gretchen un peu plus tard. Celle-ci se fait surprendre nue ou évoque, sur un arbre perchée, son intimité moite.

Les corps des deux sœurs, encore méconnus de leur propriétaire, se trouveront ainsi confrontés à la mort, à la morgue, annexe nécessaire au Conservatoire et, c’est l’une des épreuves d’admission à cette institution, contempleront un cadavre récemment autopsié avant de passer quelques heures perchés sur un arbre au-dessus des tourbillons de la rivière sortie de son lit, qui a inondé le séjour des cadavres. La nuit pénètre dans l’eau et l’eau dans la nuit.Cette fugue est-elle une valse ? Les mots et les motifs se suivent et reviennent. Tout tournoie et se retourne, chavire, les robes et les personnages, la tarentule et la tarentelle, entraînant la perte de la cruauté et le triomphe de l’amour, grâce à ce monde à l’envers, ses rires et sa fluidité poétiques.

Chaque fois qu’on croit s’être égaré, on retombe sur ses pieds, d’entrechat en entrechat, ces artistes promènent le lecteur, le font trembler avec elles, on a peur de l’orage, de la mort, de l’inondation, de la folie, des mystères et tout s’éclaire, l’amour s’incarne, la musique s’élève.Le langage est le maître de cérémonie, chef d’orchestre, les personnages vaticinent, se trompent de nom, d’interlo-cuteur, de liens de parenté, jouent sur et avec les mots, le mensonge appartient au domaine de l’invention et l’invention à celui de l’ima-gination, et ce lieu magique, conservatoire, roman et art, tout à la fois, survivra, car les musiciennes sont amoureuses et l’auteur magicienne.

P.-Y.L.

Rose-Marie Pagnard, Le conservatoire d’amour, Le Rocher, 2009. Réédité en poche Zoé.

 

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