Le Passe Muraille

Autres fausses notes

   

Notes inédites de François Debluë

Cette forme dérisoire de l’amour dont nous avons tant besoin, qui s’appelle « approbation. »

Sinon au sens de l’âge, il n’y pas de petite enfance.

Braves fiertés de l’enfance. Ses triomphes ! Ses élans magnifiques! Plus douteuses, les vanités de l’âge d’homme.

On n’est jamais à l’abri d’un imbécile.

Souvent, ils vous en veulent de leur propre bêtise.

«Ne vous laissez pas abattre ». Facile à dire. Parole de chasseur plus que de chassé.

Si facile la morale, quand on la fait aux autres.

Il en est qui croient à leur intransigeance comme à une vertu.

Traitez-le de tyran au petit pied, il sera fâché du «petit pied».

Si tu ne veux pas entrer en vaines querelles, commence par te taire.

Peu de poids de la raison. L’intelligence même comme quantité négligeable, pour ne rien dire de la culture : les unes et les autres balayées comme fétus de paille au moindre vent de la passion.

Horreur de n’avoir qu’une seule vie et qui passe!
L’amour ne s’accommode d’aucune prison. De sorte que « l’amour libre », si en vogue naguère, n’est en réalité qu’un pléonasme.
« Fête des mères », disent-ils. Et ils promènent leurs mères comme l’on montre une pièce rare, ils les sortent, une pauvre rose à la main. Une fois par année. Triste farce.

L’amour est de chaque jour ou il n’est pas.

Tâche insolite que me confie Z., 85 ans : écrire pour lui une lettre de rupture à l’intention de celle qui s’est attachée à ses basques et à son portefeuille bien davantage qu’à lui. J’écris donc, dans le style de Z. « Chère E., Les années passant et mon état de santé laissant à désirer et mes moyens venant à manquer, j’estime désormais préférable de ne plus nous voir puisque vous et puisque que moi et que vous et donc que vous je considère que désormais », etc.

Tyranniques, nous le sommes à proportion de nos plus intimes faiblesses.

Ils croient aux vertus de leur volonté au point de confier à leur volonté leur avenir ; leur vie même.

Ces milieux où règne la tyrannie de la cravate et où la cravate n’est que l’emblème d’un « ordre » autrement douteux. On dirait qu’ils délèguent à leur cravate le soin de maintenir leur tête sur leurs épaules, et celui de mettre
vie et qui passe » leur poitrine et leur coeur à l’abri des tentations de la charité. Est-ce pour cela que je ne supporte pas d’en porter ? Même mal serrée, la cravate m’étrangle.

Ces pauvres idées, si souvent, dont on tire tant de vanité.

Théories et idées du bonheur : les pires de toutes ! Certains ne craignent pas d’en faire un livre entier.

Du Bonheur. Les voilà bientôt capables d’en faire des traités, une morale et des manuels scolaires. Toutes ces occasions qu’ils auront perdues de se taire!

Plus ils parlent du bonheur, plus ils se font péremptoires et autoritaires. Laissez-les faire : ils vous mettront en place une véritable dictature du bonheur.

Les malheureux ! S’ils disent qu’il faut s’attendre à tout et qu’ils ne tremblent pas, c’est qu’ils ont bien peu d’imagination. Aussi faudrait-il être capable de s’attendre à tout et à son contraire.

Il n’y a peut-être de vraie passion que de l’impossible.

G., à l’approche de sa mort. Son fils, trisomique, 40 ans passés, étendu sur le grand lit à ses côtés, refuse de quitter son poste. « Toi, pas mourir, hein ? », dit-il à son père. « Pas mourir ! Pas maintenant ! » La mère, elle, disparue depuis longtemps. Le père ne répond pas. La vie l’abandonne, et il le sait. La vie les abandonne tous deux, chacun à son sort, et ils le savent aussi bien l’un que l’autre. Un sûr instinct les renseigne. Le Temps ne se laisse pas faire. Il n’a d’ordre à recevoir de personne.
Seule une pensée inspirée par l’amour vaut d’être pensée.

F. D.

(Extrait d’un ouvrage en chantier)

 

(Le Passe-Muraille, No 88, Avril 2012)

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