Le Passe Muraille

A l’école buissonnière ou l’école sans (fausses) notes

Nouvelle inédite de Pierre Yves Lador

Les quatre inséparables premiers de classe glandouillaient au pied du grand arbre à glands, solitaire, le jour du solstice d’été, à treize heures. Faisaient-ils l’école buissonnière ou bénéficiaient-ils d’un congé de chaleur ? ce qu’il y a de sûr c’est qu’immobiles, à l’ombre, adossé contre la rude écorce, accoudé sur l’herbe maigre, assis comme un yogi espérant l’illumination ou assommé au sol les yeux perdus dans le bleu du ciel dentelé par le feuillage, ils cherchaient l’aventure. Inattendue, elle apparut, court vêtue, boitillant, presque essoufflée. Ils la connaissaient, elle habitait avec sa mère, guérisseuse à la cuisse légère. La voix du peuple attribuait l’infirmité de la fille aux activités de la mère. Le directeur de l’école avait interdit qu’on la nommât Tic Tac, mais les bonnes intentions jamais n’aboliront la cruauté ordinaire. Ses condisciples l’appelèrent FDS, fille de sorcière. Les quatre compères étaient bien les seuls à ne l’avoir jamais moquée. Claudette, pour lui rendre son prénom, prémonitoire car choisi avant sa naissance, dit qu’elle voulait rester avec eux parce qu’ils étaient différents, puis elle se tut et commença à retirer ses habits. Ils hésitèrent, la regardèrent et lentement s’approchèrent du tronc rugueux contre lequel elle s’appuya et la touchèrent, des yeux d’abord, de la pulpe des doigts, et des mains. Ils n’avaient jamais effleuré une fille ainsi, ni ensemble, et le savant voulut expliquer, mais l’alpiniste lui coupa la parole et posant la main sur la poitrine de la fille dit, Ce sont Castor et Pollux, les jumeaux divins gonflés de flocons de lait, et il commença à traire doucement un mamelon qui s’érigea, une autre main étira le second entre deux doigts bientôt remplacés par une bouche altérée, elle gémit et se coucha lentement. Le val de la vie, ajouta le poète, en décoiffant la forêt noire et dirigeant son majeur vers le minuscule champignon qui sortait sa tête chauve de son capuchon, mais déjà d’autres mains glissaient vers le puits du mystère, encore enfoui dans le défilé aux rives roses et luisantes, et certaines remontaient du buisson sauvage vers le noeud creux, relique de la fin du commencement, décrivant tout autour des cercles légers sur la peau hérissée du ventre.

Le long des interminables cuisses des baisers humides adoraient le feu de la chair fraiche. La fille prit un obus allongé, lisse et tendu, sorti tout seul d’un short par le canon trop large, dans sa main droite, et un autre légume plus charnu et plus foncé, cambré comme une banane, qui faisait mine de se cabrer, dans l’autre. Ils avaient glissé dans un univers parallèle et nus se caressaient, découvrant les lieux méconnus par ouï-dire et les baptisant tour à tour de noms banals et nouveaux. La glu c’est un piège à mouche, dit l’un des faux bourdons, portant son index collant des lèvres verticales aux siennes. Ils goûtèrent les saveurs marines, animales ou herbeuses, nourrissant de lilas écrasés la pâleur des jumeaux affamés, pollinisant de pissenlits solaires les aisselles velues ou entant de centaurées bleutées les orteils malheureux. Chaque parcelle de son corps était en contact avec une partie d’un corps mâle. Elle se redressa pour voir les deux glands violacés qui échappaient encore à ses lèvres et les happa. Ensuite elle dut se retourner, exhibant avec une joie impudique l’éclat de sa lune philippine ornée, dans la césure, d’un oeil unique qu’ils fixèrent, aveuglés d’un seul regard, avant que l’un, le poète sans doute, osât y porter sa langue. L’alpiniste cueillit encore une fois les douceurs urcéolées, titillant leurs tétins pourpres et corrugués. La langue du lambin remontait, escargot baveux, en slalomant, le long de l’épine dorsale, pendant qu’il promenait ses mains ferventes sur les omoplates pointues comme s’il espérait en faire surgir d’improbables ailes. Ne dis pas fontaine, car les jets jailliront dans ta bouche heureuse comme l’Arabie, bois et encore, car qui a bu boira. Et de toutes ces sources intarissables, quelles dunes ou quels sables furent irrigués, quelles plaies pansées, quels yeux noyés ? Elle attrapait de ses doigts hésitants, puis inquisiteurs, le cuir souple et grenu des bourses dont elle ignorait jusqu’alors la texture, cherchant à sentir ces étranges monnaies fermes et fragiles qui roulaient sous ses phalanges, et serra à faire sursauter leurs possesseurs. Elle explorait les frontières de son empire et découvrait que la douleur pouvait se transmuer en plaisir.

Enfin un poireau se glissa dans une corolle humide et une asperge vint, par les fronces voisines, le côtoyer. Les gais compagnons limaient comme à l’établi. On entendait des ronronnements qui se transformaient en grognements et en halètements. La scène s’animait encore, l’oeil solaire fronçait le sourcil et l’emposieu avide glougloutait, les autres tiges, de grenat ou de cinabre plus que de jade, ne sachant que faire de leur liberté, balançaient entre main, seins et bouche, impatientes de se faire étrangler, engloutir, avaler, pour dégorger leur inépuisable liqueur opalescente. La bouche de Claudette, encore écumeuse, proféra un long cri d’amour et de reconnaissance qui les traversa tous et ils se sentirent liés par ce frisson et absous pour une courte éternité. Ayant réinventé et rebaptisé tous les emmêlements possibles, gluants et dégoulinants, purs et nus, ils allèrent, nouveau club des cinq, en chantonnant, se rafraîchir à l’étang, rêvant de mille recommencements.

P. Y. L.

(Le Passe-Muraille, No 88, Avril 2012)

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