La poésie en première ligne
par Francis Vladimir
Un livre d’entretiens, comme on les aime, surprenant, riche des promesses passés et à venir, des essentielles, de celles qui ont été tenues. Avec Thierry Renard on ne sait, dès l’abord sur quel pied danser, sur un air de tarentelle en hommage à son cœur d’origine italienne ou sur un air jazzy sorti tout droit du saxo de John Coltrane ou avec en réserve un slam bien enlevé pour rendre hommage à sa banlieue lyonnaise, Vénissieux, son antre, son cœur palpitant, sa famille, ses amis, son espérance, son poème, son tout. Rencontrer Thierry Renard c’est tomber sous le charme d’un homme-poète ou d’un poète-homme, d’un poète à l’échine d’arbre. Le piège se referme sur vous au premier fond de regard, au premier éraillé de la voix. Voilà donc un petit bonhomme au cheminement incroyable, venu tout droit du commencement, là où poésie s’invente par tous les pores de l’être, d’entre les murs du collège au hors les murs, dans l’entrebâillement d’une porte, dans la croisée d’une fenêtre, ouverts sur le monde qui attend le jeune homme impatient comme pas deux, vrai petit Poucet, à l’appétit dévorant, prêt à bouffer les mots, les mots merveilleux et complices, tous les mots mis à sa bouche, à sa main et ceux qui, hors de portée, lui seront rapportés par ceux et celles qui signeront ses belles rencontres.
La vie d’un poète déclinée en autant de trouvailles et retrouvailles, où page après page, le sang poétique circule du cœur qui pulse jusqu’aux veines, le flux ininterrompu, les essoufflements et les relances que son interlocuteur, Christophe La Posta, distille au gré des réponses que le poète donne à entendre. Pour sûr il y a chez Thierry Renard ce qui fonde une âme de poète et son envol, à l’âge de seize ans, ce qui le conforte dans sa proximité avec Rimbaud ( voir son poème Fils de Rimbaud ) mais pas que, car ils sont nombreux ceux et celles auxquels il se sera confié, leur rendant les armes mais se gardant de les leur abandonner à jamais car sa façon à lui de faire confiance c’est de relever le défi, en parfait chevalier d’hier et d’aujourd’hui, pour jouter, batailler, se battre à armes inégales, certes, mais pas moins aiguisées, et ce fondement, donc, tient en un seul mot : PEUPLE ! Car c’est bien là l’étonnante surprise, l’insigne rappel du poète, les origines modestes, humbles arborées non comme un blason armorié aux couleurs délavées mais comme une innocence première, un orgueil victorieux avec en fond d’oeil un rien de coquin, de goguenard, histoire de nous emmerder !
Comme il peut sembler venu de loin, Thierry Renard. Si l’on file les aventures que le livre délivre on se laisse saisir par un émerveillement enfantin qui vous souffle à l’oreille : Oui ! c’est possible de vivre poète aujourd’hui. Notez que je ne dis point vivre en poète car se serait évoquer une posture tout à fait étrangère au mis en cause dans ces lignes. Le monde, il est vrai, regorge de faux poètes comme on dirait faux prophètes, aussi qu’il soit rendu grâce à TR qui, dans la galaxie poésie, œuvre comme un beau diable depuis plus de quarante années. Diablotin et inspiré !
À le voir et à l’entendre, avec son physique rabelaisien, sa démarche toute ronde, avec sa voix rieuse, aux accents déraillés à décrocher les étoiles et ses yeux qui versifient et prosifient, ritualisent le monde tel qu’il est, pas toujours très beau, on ne le sait que trop, mais tout de même notre monde avec son humanité pourfendue comme le Vicomte d’Italo Calvino, on se plaît à croire au poète, si cela n’était encore advenu, à lui prêter allégeance pour tout ce que les mots jaillissants enflamment ou apaisent dans nos corps et esprits passablement distordus par le temps qui passe et la terreur souterraine qui, partout, se soulève.
Est-ce ainsi que les poètes vivent ? Le chevalier du Graal n’aurait sans doute pas écarté l’écuyer TR, dont les accents farouches de débatteur et de diseur, l’eussent conquis. C’est qu’il y a dans le parcours du combattant-poète, camusard en diable, nécessité d’être d’entraînement parfait. Savoir tenir haut le verbe sans oublier le verre vidé d’une longue rasade, savoir regarder la beauté bien en face sans se voiler la face, loin des exergues de bonne conduite ou tenue, bien bourgeoise ou religieuse, ensemencer les mots, y voguer sur mer tranquille ou houleuse, se poster à la proue du poème en y hissant la voile pour qu’elle claque si fort jusqu’à la déchirure, s’il le faut, pour que les âmes s’en libèrent.
« Le dernier vers sera peut-être celui que je n’écrirai pas ». D’une telle lucidité le poète tire sa raison et sa force. Savoir sa fin à la remorque du poème celui qui ne pourra être écrit ou dit ou clamé. De bruit et de fureur s’étoffe le poème jusqu’à retrouver la respiration tranquille, l’expir qui conduit au silence.
« Le plus souvent, l’évidence de la poésie s’impose à moi ». Cela est et ne peut être autrement. Le poème est substance, substantifique moelle. En terme lyrique, sa chair et son sang, en terme de terre, son terreau, son limon, en terme de mer sa marée et sa houle, en terme de vent, son souffle et ses bourrasques, en terme de glaciation, son iceberg et son ours polaire, en terme de désert, son oasis et sa caravane auxquels j’ajouterai sa transfiguration et son épiphanie sans lorgner pour cela vers le religieux.
« Paul Éluard a écrit L’amour, la poésie. Ajoutons-y l’amitié et le tour sera joué. Ce mot est un ciel bleu. Il en contient plusieurs. Amitié, complicité, fraternité. Connivence aussi. » Toutes les pages affirment le primat de l’amitié, l’amour, la joie ( comme dans la chanson). Car c’est de cette chose essentielle dont les entretiens rendent compte. D’une nécessité absolue. Celle de garder les yeux ouverts, magnifique titre des entretiens que Marguerite Yourcenar accorda, en 1981 à Matthieu Galey. C’est que, par temps de tempête, il nous faut des monceaux de sagesse, pour garder le cap. Et tout se joue à notre main, à portée des yeux sans qu’il soit besoin de parcourir le monde même si la Dame de l’île des Monts Déserts et l’ami Thierry de Vénissieux, l’amoureux de Venise, y ont déambulé à leur façon et se fussent-ils rencontrés, nonobstant leur époque respective, ils en auraient joui ensemble et qui sait auraient-ils vogué vers d’autres côtes, vers celles où l’autre Marguerite, la Duras qu’il affectionne, se réveillait à l’amour dans les bras de l’amant.
« Ce que je crois, c’est que dans notre pays le côté un peu sacré de la littérature fait écran. Beaucoup se disent : ce n’est pas pour moi, c’est réservé à des initiés… Ailleurs, je n’ai pas éprouvé pareille impression. La parole poétique n’est pas forcément plus libre ou mieux inspirée, mais elle est sans doute plus populaire, plus proche de la parole chantée et inscrite dans la tradition ». Point sensible, s’il en est, que l’effroi du poème qui ne va jamais sans l’attirance, l’attraction de la lune. Redonner de la proximité, réunir les âmes sensibles, car elles le sont avec le dit du poème afin que le non-dit s’y inscrive, y dévide son chapelet gardé au secret au fin fond de la poche. Cette mise à disposition du poème que TR a maintes fois allumé sur scène, soucieux du partage et de la résonance des cœurs fragiles, tout son travail évoqué de passeur, d’éditeur, d’hôte, de comédien, d’animateur d’ateliers d’écriture en territoires connus et moins connus, d’agitateur poétique, que nombre d’entre nous connaissons par ouï-dire, par remontées clandestines, par poésie de traverse, par coups de gueule et convictions affichées, toutes choses en somme normale pour un poète tombé si jeune dans le bain de jouvence de la poésie qu’il continue à porter en lui, en dépit des années qui filent, flamboyance et chaleur, don et offrande, épure des mots, tintement des sons, élégie de la phrase et toutes choses encore avec lesquelles un poète se collette au monde d’aujourd’hui. Un livre ponctué de poèmes, divine surprise, d’inédits et d’archives écrites et photographiques, autant d’amers sur un parcours étonnant et règlant sa dîme à tous les écrivains ( reconnaissance filiale à C. Juliet, Albert C., J.Prévert) qui l’ont ouvert aux mots, accompagné au long du chemin sans que jamais ne filtre une amertume pour ceux qui s’éloignent ou desquels on s’éloigne. Un livre où s’écrit la gratitude pour tout ce que le poète porte en son sein, loin de tout venin racinien, en empathie toujours pour mieux se reconnaître soi et l’autre, inséparablement lié en destinée et en poésie. Et au final un grand merci pour les fidèles de l’Espace Pandora de Vénissieux, les vivants et les morts, les amis d’enfance, les aimés, ceux sans qui la solitude du poète serait insupportable. « Et la liberté, la route unique de notre destinée. »
Francis Vladimir
Thierry Renard. En première ligne. Conversations avec Christophe La Posta. La rumeur libre Éditions – 280p.