Le Passe Muraille

À la recherche du mage perdu

 

Découverte d’un conteur, Antonio Exposito,

dans son « livre-somme », Le quatrième mage. 

par Francis Vladimir

Un premier roman dont on voudrait qualifier d’un mot, d’un seul, l’étonnante splendeur. Une comète sur la planète livre. Désarçonnant, labyrinthique. En apparence. En fait, un long fleuve à la force tranquille par endroits, impétueuse à d’autres, qui jamais ne connaît d’étiage, des flots de mots dans une langue riche, aventureuse, élégante et sensible, en rupture aussi, d’aucuns diraient inventive pour un conte du fonds des âges qui assène littéralement sa densité, furia et maestria, repoussant, à la lecture, la frontière du dormir.

Un livre ouvert au vent froid des Dieux nordiques et au vent chaud de la Genèse, de très vieilles histoires qui se jouent de nous, dans la nuit et à la fin des temps, nous tenant, sans désemparer et, à notre surprise, en haleine. Un livre somme, sans aucun doute, naît dans la sagesse de l’âge, celle d’un auteur qui élucide «Mais qu’est-ce qu’un conte ? Un leurre tissé de fils narratifs comme ceux de l’araignée qui patiente sa moucheEt j’ai choisi la forme du conte par honnêteté, pour que tu saches que tout est faux et entendes que tout dit vrai ».

Un conte naît de l’amertume d’un enfant : le Père Noël n’existe pas. Une ouverture chagrin pour livre d’enfant. Mais au creux et au-delà, tous les possibles – l’impossible, la pensée et le rêve -, avec en sus une visitation, comme on en lit peu, d’un imaginaire mythologique et biblique, loin des ingrédients habituels des premiers rôles avérés, des rôles secondaires donc, juste ce qui convient pour mouvoir les étonnants personnages qui donnent forme au récit et s’en émouvoir. Celui-ci, nous promène, nous balade en knörr. Comment rendre compte de la profusion du livre, payer son écot à l’auteur pour le grand bien qu’il dispense, au fil des pages tournées, l’index oublieux de tout repos. Il en va de certains livres comme d’une quête enfin récompensée, un Graal immérité qui soudain vous est remis dans les mains et par cette merveille-là, notre âme est déposée. Enfin, le repos, la quiétude et la consolation face à la flamboyance, la fureur, et l’apaisement final.

Nous voici dans les grandes hauteurs, aux confins d’une tétralogie à la résonance Wagnérienne, à la périphérie de la naissance et de la passion du Christ, Yeshua, Immanouël. L’auteur nous y conduit, construisant sa famille de papier reconnaissable pour chacun de ses membres par un symbole mystérieux qui donne au livre son originale moëlle littéraire. Filiation avec « Les Épiphanies » d »Henri Pichette car le Quatrième mage a son tirant d’eau poétique à nous chavirer à chaque instant, tatouages cabalistiques ou cosmiques en marge. Car c’est d’une épiphanie ratée que procède l’enchantement du conte, de ce quatrième roi mage, le géant rouge, arrivé trop tard, venu du grand Nord, revêtu de toute une histoire de violence, de son épée Dragon, de son appartenance familiale et de clan, une royauté sanglante, transmise de génération en génération . « Ce sang dont Nol était envahi, après celui dont il descendait finissait sa nature… Le monstre, c’était non seulement ce qu’il était, mais aussi ce qu’il avait toujours été, indigne s’être aimé en dehors du ventre qui l’avait engendré. » « Î – C’est à sauver que je peux mériter l’amour. Il me faut tendre mon humanité du bras de mon inhumain pour la recevoir et espérer être reçu. » Une « salvation » est possible.

Tout le long du conte, assisté par des êtres à la foi simple, des femmes, des hommes, des enfants, le monstre se métamorphose. La lutte de l’archange et du dragon, la sempiternelle histoire du double tapi, Docteur Jekyll et Mr. Hyde, une longue épopée rédemptrice qui, au travers des dialogues incessants des protagonistes, interroge sur le sens de l’existence. Un livre, au fond et au décor prosaïques, qui se plaît à nous promener entre les pôles de deux liturgies fondatrices. De Odin à Jésus, il importe peu de choisir, quand notre héros Î ( Bjorn Bjornsen/ Nanuq/ Nol ) brouille les cartes à la recherche du temps perdu, celui-là même qui ne cesse d’être réminiscence au point de le mettre en fuite de lui-même. Forces centrifuges et forces centripètes, en alternance, façonnent la stature du héros. Sous la protection du frêne, l’arbre monde : « Yggradsil noircissait comme une souche couvant son brasier. Du bois mort tenait la voûte, presque minéralisé en son effort. L’Eden fanait, de sa flore ne survivait que ce qui fleurit au désert. »

«, Î confie à Ora : « tu leur diras qu’un étranger est venu cette nuit pour les remercier d’exister et que, pour ne pas les réveiller, il a caché ses cadeaux dans le verger. Tu leur diras que toujours il reviendra, une fois l’année, bénir leurs vies. »

D’une sagesse inouïe, au souffle et accent prophétiques, d’une profondeur humaine entrouverte au soc, le texte d’Antonio Exposito est une voix en écho lancée du haut de la montagne, Golgotha ou Walhalla, partagés ou refusés, tant il est vrai que l’espèce humaine se repaît pour mieux se languir d’une histoire jamais terminée. « Les fraternités qui se formaient sans dogme ni devoir, tels se battaient les cœurs, et posaient les armes pour se peser au poids de la charrue des autres. Les vieux qui donnaient au seul coût d’une écoute ce peu qu’ils avaient peiné à savoir . Les conteurs qui délivraient le vrai merveilleux des choses impossibles et avérées, et de contes faisaient contents. Tous ceux qui s’affablaient, tous ceux qui s’attablaient, qui formaient nous et d’en être se dénouaient. »

Pour sa première Cène des mots ardents, Antonio Exposito s’est fait Père Noël, tirant de sa hotte traînant au sol, des mots précieux et déposant ainsi, dans le secret d’une certaine nuit, sous le regard de tous, l’incroyable et le merveilleux, l’éternel et le fugace, le saisissement et le songe.

« Et quand votre été arrivera, apportez-le-moi afin que je vous offre le fruit de tout arbre, mon ombre. Et si l’hiver revient, brûlez mon bois que je vous donne ma passion. »

Prêtons l’oreille à ° ( la jeune Pénina) et Ô ( Amour), la complice de Nol :

C’est une histoire triste.

– Oui, c’est une histoire triste. Il faut se méfier des étoiles, elles sont là pour nous guider, pas pour être atteintes.

Saluons la maison d’édition Le Panseur et Jérémy Eyme pour son choix et sa note éclairée de jeune éditeur.

 Antonio Exposito, Le quatrième mage,  aux éditions Le Panseur, 450 pages.

F. V.

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