Le Passe Muraille

Fille de feu en cavale

   

À propos des Carnets de cavale  de Brigitte Brami intitulés Et le feu qui me brûle est celui qui m’éclaire. 

par Francis Vladimir

Avec ce titre emprunté à Étienne de la Boétie  Brigitte Brami fait résonner son originale et originelle conviction d’écrivaine. Caractère trempé, verbe haut, elle surprend le lecteur peu averti de ce que peut-être une vie cabossée de quelque façon qu’on l’examine, la vraie vie qui n’a rien d’une petite vie tranquille, cavale de 140 jours où je serai enfermée dehors.

Il est des livres qui plongent dans une stupeur non feinte parce qu’ils fomentent en quelque sorte, à l’encontre du lecteur, un complot existentiel, une remise en cause, mettant sous le nez notre petitesse, non que la grandeur soit une valeur absolue, mais le sentiment du je ne suis rien, à les lire, creuse en nous son soupçon. Que serait donc la vie sans liberté lorsque la justice et son bras armé, la police, prétend vous l’ôter. Brigitte Brami écrit sa cavale à l’ombre de ses sœurs, Albertine Sarrazin et Violette Leduc, qu’elle évoque comme un nuage de lait dans une tasse de thé ( en dépit de son goût revendiqué pour la 1664 pression), mais n’est-ce pas suffisant, pour saisir le compagnonnage, l’appartenance dans lesquels elle se tient. J’ajoute à ces deux figures, une dame italienne, Goliarda Sapienza et son université de Rebibbia  d’où j’extrais « De fait, quand on met le pied sur le rivage du « tout est perdu »,n’est-ce pas justement alors que surgit la liberté absolue ». Manière de m’incliner devant l’aventure de liberté qui est au cœur de ces carnets de cavale.

La narratrice va droit au but, elle ne s’embarrasse guère de préventions, pas d’écriture chichiteuse, elle dit, énonce, colérise si nécessaire. « J’écris, je ne peux pas faire autrement que d’écrire dans la colère. Une colère que je ne veux soumettre qu’à la loi des chiens. Ma colère tourmentée, ma colère ineffable. Ma colère originelle…. une énervée chronique de plus en plus énervée ». Elle dit et assène sans fioritures ni détours comme Diogène le cynique.  Disons le net, de la belle ouvrage, ce qui devrait rassurer cette inconditionnelle de Jean Genet dont elle a relevé le panache dans un précédent livre « Miracle de Genet » avec un aplomb renversant et une finesse rare et flamboyante. La chrysalide est devenue papillon. L’enfermement est aussi affaire de perspectives. On pardonnera au lecteur lambda le glissement progressif du plaisir, celui de lire un ouvrage, court en apparence mais dense de portraits qui forment famille autour de la narratrice. En dépit de la précarité qui est la rançon de sa cavale, se forgent dans l’ingratitude que la société organisée des hommes réservent aux hors-la-loi de l’existence, aux mal-aimés, une solidarité affective, une reconnaissance pugnace, une proximité revendiquée et une lucidité à couper au couteau.  «  Et puis surtout, j’ai écrit comme on fait la guerre, en stratège enthousiaste craignant davantage la défaite que la mort. » Et si sa cavale la  mène du côté de la porte de la Chapelle, la propulse pour un passage douloureux du côté de Compiègne, la narratrice jalonne sa trajectoire de retrouvailles, dans les rues de Paris, restituant au creux de son écriture, l’errance profonde de cette période, le désastre déjoué, où tout se fait et se défait, et où tant de choses, – virées, nuits improbables dans la recherche d’une chambre d’hôtel, matins nauséeux, – fut-ce une simple visite chez l’ophtalmo -, suscitent un élan charnel, réveillent le besoin d’amour.

L’art de dire l’essentiel en peu de pages, de faire saigner le texte par le cœur qui, chez elle, cogne à se rompre. Et les mots dessinent sa carte du tendre, nous tendent sa carte de visite, enluminent son livre qui, page après page, décante la boue de l’existence pour ne garder que les pierres dures et noires, les taillant et leur donnant la clarté que la forge intérieure de l’auteur leur insuffle. La réussite est ici totale parce qu’elle nous emporte à notre corps défendant, qu’elle fait tomber nos réticences, nos regards convenus, pour nous ouvrir à des rencontres d’un autre type. Des femmes avant tout,  Sonia, Nacera, Meriem, Diamant, Héloïse, Claire. Les hommes suivent, Pierre, Gustave et Patate, Billy, FF… Toute  une humanité  paumée, palpitante de vie éreintée. Récit/carnets/immersion des 140 jours qui ébranlèrent la narratrice, interrogation-réflexion-bilan sur la vie, sur la sororité, sur la famille. Autant de thèmes connus et ressassés qui, sous la plume de Brigitte Brami, dans la maîtrise et la conscience qui se jouent dans l’écriture, atteignent leur point d’incandescence. Une écriture énergique, obstinée, sans concession, de l’autre côté de la barrière, coulée à l’acidité des temps, quand tant d’individus morflent sans autre issue que de tituber debout, quoi qu’il leur en coûte. Une écriture chaleureuse, généreuse et tendre, la veine palpitante au cou du condamné, pulsant son amour pour l’autre. Une écriture aux trouées poétiques avec Jean Genet et Boris Vian, qui dialogue avec les poètes. D’égale à égaux. Cette cavale est aussi la nôtre. Le propre d’un livre n’est-il pas de cavaler, de l’écrivain au lecteur, à tous les autres lecteurs. 

En promesse et en complicité. Et que la littérature soit ! 

Brigitte Brami, Et le feu qui me brûle est celui qui m’éclaire  Carnets de cavale du 18 octobre 2008 au 08 mars 2009 –  95 pages – 1er éditeur : Éditions l’amour des maux; 2ème éditeur: Éditions Unicité ( pour les commandes )

F.V.

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