Le Passe Muraille

Quand la vie revient au bout des mots

   

 

Pour découvrir Les roturiers, de Stéphane Padovani

par Francis Vladmir

La couverture du livre de Stéphane Padovani laisse entrevoir la lutte à partir de laquelle, de la première à la dernière page, l’auteur fonde sa poétique de l’écriture tel un ouvrage à reprendre et à remanier sans cesse. Réflexion approfondie à laquelle l’auteur s’adonne, corps à corps, l’âme en tension, par le biais d’une temporalité étirée d’une histoire familiale à sa propre histoire, des éclats aux renoncements et trahisons  d’une époque, du dernier quart du XXème siècle à un monde rêvé, manière de dire l’aveu inexpiable et inexcusable qu’est l’acte d’écriture. De ce constat fondamental, derrière la difficulté apparente de s’essayer à dire, en vérité, procède la volonté de survivre par les mots, d’installer son territoire à l’orée des possibles, ce manège désenchanté qui, dans la solitude et dans les nuits et les petits matins brouillés des écrits, pèse comme un couvercle au front du quidam.

Celui-ci se révèle, en Stéphane Padovani, un écrivain exposé aux intempéries les plus cinglantes mais, aussi, paradoxalement, à l’apaisement que la distanciation par les mots peut installer. Pour autant on ne saurait ignorer la raison première qui pousse l’auteur à brandir et revendiquer son acte de naissance, celui d’un roturier à la fois des mots mais aussi de la vie, dans l’observation qu’il en fait- à moins qu’il ne convienne d’inverser –  et si les définitions données de cet état répondent, en la circonstance, à la curiosité que le mot éveille chez le lecteur,  on ne peut ignorer la charge symbolique et les interrogations que cette ouverture du livre installe dans les esprits. 

Livre en apparence simple – les roturiers et les veilleurs – il gagne, tout du long, en complexité narrative que le procédé prose/poème éclaire avec la puissance qui porte la totalité du texte et ses articulations. C’est par aplats que procède l’auteur, comme le ferait un peintre, juxtaposant des éléments de vie pour redonner du sens à ce qui a été, en ce temps clos que la mémoire rouvre afin que, remontent à la surface le décor des ères révolues, les protagonistes de l’enfance et de la jeunesse, le souvenir qui tenaille encore, bien des années après, celui qui se souvient, mettant à nu la chair de la tendresse, de l’amour, de l’amitié et raclant jusqu’à l’os les impostures.

On ne saurait reprocher à un écrivain de déshabiller son âme dès lors que par cette manière de faire il tend vers l’absolu que l’écriture révèle par couches successives, strates non identifiables, dès l’abord, quand le temps et les textes venant, la maturité créatrice, il la donne à lire pour faire de son lecteur plus qu’un compagnon de voyage, une âme soeur. La force têtue qui sous-tend «  les roturiers », traversant de part en part le texte, la lucidité jamais voilée, la vision du rôle de l’écrivain, les dénonciations désabusées, le constat douloureux, mais aussi la grandeur du dire quand tant de choses – nos espérances pour sûr – sont jouées d’avance, escamotées, jetées à l’encan, participent à la construction d’un texte qui, parti d’un seul mot, fait éclore une réflexion magnanime sur la condition humaine. C’est de cela que nous parle Stéphane Padovani. Là où d’autres auraient fabriqué un roman, lui s’expose à sa réalité, à sa trajectoire d’homme, en rappel constant avec ceux et celles à qui il doit tant, auxquels il donne acte de ce que fut leur présence, regrettant leur absence et c’est avec ses doutes et ses fulgurances qu’il entremêle le maelstrom des réminiscences pour mieux retisser ses attentes du jour, lui, le chevalier servant et errant de l’inconstance des temps. 

Objet littéraire rare, non identifiable, dans sa forme insolite mais bien précieux pour qui, curieux de ce qu’un  écrivain à la marge des marges, apporte de sens, de raisons d’espérer, de croire en un monde possiblement meilleur, Les roturiers se donne à lire comme un livre ouvert, loin des modes, ne craignant pas les sujets qui fâchent mais toujours avec la franchise que les mots révèlent à ceux qui ne les maltraitent pas. Le livre de Stéphane Padovani nous installe dans une attentive lecture au bout de laquelle on se sent fortifié des possibles et des ratés de la vie. Ce constat partagé avec  l’écrivain mène, qui sait, à une reconquête constante du désir, celui d’écrire, bien sûr, mais plus encore celui d’affirmer, haut et clair, les mille et une raisons qu’un homme, qu’une femme ont d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes, de s’affranchir de  la curée ambiante, des jeux de cirque et de pouvoir. De cette tentative constante nous connaissons l’issue. Pourtant si écrire est un miracle, si écrire c’est respirer, si écrire c’est être encontre, écrire est aussi tenir sa place, dans la modestie et la justesse des mots pour témoigner dans le silence et l’accord de soi, en surplomb du fracas, de son authentique noblesse, de son altérité, de son intime conviction, celle des lettres, du regard posé, de la main retenue, des moments partagés, manière inédite d’ajourner les malfaçons qui modèlent l’existence pour qu’enfin, dans le répit des mots, les cris et la fureur passent, la laideur s’estompe, et vienne à nous la sollicitude que la vie sait, en des instants brefs et joyeux, nous accorder.

Francis Vladimir

Stéphane Padovani, Les Roturiers.   Préface de Jean-Michel Platier. Editions du Pont9 – 130 pages

En couverture: « Enfants luttant » de Paul Gauguin (1888)

 

 

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