«Venir au monde et le quitter»
Sur la poésie de Jean-Michel Maulpoix,
par Françoise Delorme
Jean-Michel Maulpoix, depuis quelques années, propose simultanément deux livres, un essai et un récit. L’un fait le point et l’autre s’avance, fugace, dans l’inconnu. Il est très plaisant de lire un poète qui ne feint pas d’être ignorant, ce qui ne l’empêche pas d’écrire une oeuvre particulièrement dénuée d’apprêt. Le Poète perplexe est le titre d’un essai sur le nouvel état de la poésie. Toujours un balancement entre affirmation sereine et questionnement : Que peut la poésie aujourd’hui ? Sans doute pas grand-chose… La poésie peut être autre chose, ailleurs et autrement, … elle peut en rajouter du côté de la lettre.
Le Poète perplexe semble animé d’un doute redoublé. Pourtant, le lyrisme permettrait de «reprendre de l’altitude ». Parmi les oeuvres étudiées de grands classiques familiers, se glissent maintenant pour l’étude des oeuvres de contemporains, Bonnefoy, Deguy, Philippe Beck, Claude Royet-Journoud, Novarina, etc… Elles reconduisent plus âprement les problèmes que le lyrisme pose. L’absence d’Anne-Marie Albiach est regrettable, dont l’oeuvre, l’une des plus troublantes de la fin du xxe siècle, n’est pas sans rappeler la poésie abstraite et littérale des toiles fascinantes de Mark Rothko —difficile, mais passionnante, elle court les mêmes risques que tout lyrisme, même si les métaphores n’y parlent plus que d’elles-mêmes, c’est-à-dire de la structure coexistante à la matière du monde (et non pas invisible).
Comment sauvegarder l’instinct de ciel quand tout le contredit et oblige le poète, comme l’écrivait Mallarmé, à en rabattre? Mais cette humilité nécessaire donne au lyrisme peut-être sa vraie place : marcher sur le fil de la voix. Garder la main, tenir parole. Parler juste dans l’incertain. Une attente indéfinissable motive les analyses de J.-M. Maulpoix, espoir qui sera déçu ; et cette appréhension justifie la métaphoricité: celui qui attend, on le sait, prend volontiers une chose pour une autre.
La même attente habite Chutes de pluie fine, récit en prose fragmentée, voyage autour du monde, évasion impossible et sans cesse reconduite. Les noms de villes s’égrènent. Les paysages se suivent et se superposent. Un passager les traverse, croit échapper à la pesanteur, lui échappe partiellement, mais pour en ressentir les effets les plus généreux : lumières subtiles, regards légers, couleurs à peine posées, naïveté comme retrouvée, sentiments justes. La matière, tamisée par les phrases de J.-M. Maulpoix se fait curieusement désirable et présente. Pourtant, l’évidence d’exister lui fait si souvent défaut et se décharger du fardeau d’exister guide a contrario cette quête discontinue. Mais justement, tout est là: Il me faut feindre à tout moment de tout perdre et de tout découvrir, pour tout recommencer. Pour rejoindre, ayant assumé la douleur et dit l’émerveillement, le ciel d’en-bas, azur apparemment continu, ce puits d’eau sombre, tel que le ciel lui-même, très loin, très haut, insiste pour s’y pencher. Des livres d’une grâce rare, à lire dans l’automne commençant, qui leur ressemble.
F.D.
Jean-Michel Maulpoix. Le Poète perplexe, Editions José Corti, 2002, 384 pages. Chutes de pluie fine, Mercure de France, 2002.
(Le Passe-Muraille, No 54, Octobre 2002)