Le Passe Muraille

Une écriture corps à corps

 

En lisant En écrivant, en vivant, d’Annie Dillard,

par Anne Turrettini

Dans un court texte, qui participe à la fois du récit et de l’essai, intitulé En écrivant, en vivant, Annie Dillard ne répond pas seulement à la question «Pourquoi écrivez-vous ?», si souvent posée par les journalistes aux hommes de lettres, mais s’interroge véritablement sur toutes les facettes de sa vie d’écrivain.

Dans les premières pages de son livre, Annie Dillard relate avec une précision d’entomologiste le comportement de la chenille géomètre qui «passe de mornes journées en proie à une panique constante». Cette métaphore de l’écrivain n’est certes pas flatteuse, mais la description de cet insecte préfigure l’humour et la rigueur qui caractérisent la réflexion menée par l’auteur tout au long de ce texte.

En évoquant sa propre expérience et celle des autres, Annie Dillard décrit le processus même de l’écriture, l’élaboration d’un livre. Si ce travail s’avère être souvent une souffrance, un véritable combat, un corps à corps avec le texte, c’est aussi «la vie à son plus haut degré de liberté». A ces pages très riches consacrées au travail intellectuel de l’écrivain s’ajoutent de nombreux passages sur le quotidien de l’auteur. Annie Dillard évoque notamment les différents bureaux dans lesquels elle a écrit, ainsi que son emploi de temps qui, comme on peut se l’imaginer, comprend quelques rituels.

La lecture est pour l’auteur indissociable de l’écriture. Elle accompagne d’ailleurs toujours le travail de rédaction. Aux multiples et complexes réponses données à la question «Pourquoi écrivez-vous ?» font écho celles données à «Pourquoi lisez-vous ?». A cette seconde interrogation, Annie Dillard répond ainsi: «Pourquoi lisons-nous, sinon dans l’espoir d’une beauté mise à nu, d’une vie plus dense et d’un coup de sonde dans son mystère le plus profond ?»

Il n’a pas encore été précisé qu’Annie Dillard est Américaine et si elle constate qu’«il faut éviter les lieux de travail séduisants» et qu’«on a besoin d’une pièce sans vue, pour que l’imagination puisse s’allier au souvenir dans l’obscurité», la nature a néanmoins pour elle une importance considérable. Elle a souvent écrit dans des petites cabanes au bord de la mer, dans un environnement superbe, mais très sauvage. Curieusement, la page blanche, «(…) cette blancheur éternelle, la blancheur de l’éternité que tu couvres lentement, affirmant le griffonnage du temps comme un droit, et ton audace comme une nécessité (…)», présente la même vastitude que celle des paysages qui hantent l’auteur.

Certes, En vivant, en écrivant est un texte d’une densité inégale, mais la petite musique qui se dégage des propos consacrés à l’écriture est subtile et belle.

A. T.

Annie Dillard, En vivant, en écrivant, traduit de l’anglais par Brice Matthieussent, Christian Bourgois Editeur, 1996, 143 p.

 

(Le passe-Muraille, No 25, Octorbe 1996)

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