Le Passe Muraille

Une cantate éclatée

Sur Les couleurs de l’hirondelle de Marius Daniel Popescu

Cinq ans après la parution de La Symphonie du loup, qui fit date en Suisse romande et au-delà de nos frontières, couronnée en outre par le Prix Robert Walser, voici paraître Les couleurs de l’hirondelle qu’on peut dire, pour le meilleur, la suite de cette première chronique flamboyante, avec une accentuation marquée sur la vie quotidienne délabrée de la Roumanie actuelle. Pour illustration éloquente de celle-ci, la première séquence, poignante et révoltante, de ce «film» éclaté, relate les circonstances odieuses dans lesquelles le narrateur, son oncle et sa cousine, vont «récupérer» le pauvre corps de la mère étendu par terre, dans une morgue d’hôpital, avec pour oreiller une brique dure. L’inhumanité de cette situation, accentuée par le fait que tout geste fait ensuite pour pallier cette indignité, sera dûment monnayé par les employés du lieu, donne à cette première scène un relief comparable à celui des épisodes les plus mémorables de la Symphonie du loup.

Dans la foulée, tout le livre sera traversé, comme une basse continue, par le motif dramatique de l’enterrement aux multiples reprises. En contrepoint immédiat, une autre suite de séquences marquée par le dialogue du père avec sa fille, jouant à l’école ou vivant ensemble les moments de l’apprentissage de l’enfant, puis de l’adolescente en passe de devenir femme, marquera par ailleurs le lien entre la vie quotidienne lausannoise du narrateur et ses retours en Roumanie d’après la « révolution ».

À cette alternance du récit qu’on pourrait dire balançant entre l’« épique » et l’intime, la chronique historico-sociale et la «geste» familiale ou privée, s’ajoute une constellation de fragments de textes empruntés à telle publicité ou tel document officiel (lettre de gérance ou rapport quelconque) dont l’insertion vise à I’« effet de réel » ou à la ressaisie d’une présumée «poésie du quotidien». Or celle-ci gagne-t-elle à se nourrir de tout et n’importe quoi ? Même question pour la série de « poèmes » resucés du lettrisme qui n’ajoutent rien, décidément, à la substance nourrissante cueillie au vol par l’hirondelle.

JLK

Marius Daniel Popescu. Les couleurs de l’hirondelle, Corti, 2012, 197 p.

 

(Le Passe-Muraille, no 88, Avril 2012)

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