Le Passe Muraille

Un pèlerinage bien singulier

 

À propos d’un  roman de Jean-François Fournier,

par Jeanlouis Cornuz

Journaliste au Nouveau Quotidien, Jean-François Fournier est l’auteur d’une monographie consacrée à Egon Schiele, représentant du Jugendstil (1890-1918). Voilà qui n’est pas banal, car pour l’ordinaire, la latinité n’est pas trop ouverte à l’art allemand, à l’expressionnisme allemand, au Blaue Reiter ou à la Brücke. Or Schiele est assurément un grand peintre, avec Klimt, l’un des plus grands peintres viennois du XX’ siècle, un artiste particulièrement raffiné. Mais c’est aussi un peintre très morbide, dont on a l’impression parfois qu’il a un faible pour les dégénérés ou tout au moins pour les malades.

Il avait pour cela quelques raisons, ayant vécu à partir de sa vingtième année la Première guerre balkanique, puis la seconde, puis la Première guerre mondiale, la famine subséquente (800’000 Allemands morts de faim entre 18 et 19), la grippe espagnole…

On retrouve et ce raffinement et cette morbidesse dans le petit roman (106 pages) de Jean-François Fournier. «Un pèlerinage étrange», dit le prière d’insérer, «où l’amitié efface les peurs et les incertitudes. Moments de vie dérobés à la mort. Rencontres brèves malgré l’intensité des amours».

Un pèlerinage sur le chemin de Compostelle, mais un pèlerinage qui débouche sur l’échec — ou quoi ? Le cardinal von Strehlenau (allusion à Lenau, écrivain morbide lui aussi) meurt de son cancer; Ludwig-Ernst se détache de sa femme et de ses enfants; l’amitié-amour d’Eileen et de Milena se défait elle aussi…

Reste le raffinement de l’écriture, l’art de l’expression, de la formule heureuse. Par exemple ce personnage dont la «face blanche» est «mangée de barbe Arafat». Par exemple encore, cet autre personnage qui parle de son auto en panne: «Elle se plaît bien sur le bas-côté, à cinq ou six bornes d’ici, mais ça ne m’arrange pas vraiment…» … cependant que le garagiste lui tend une main «version cambouis chaud et gluant…».

Un humour qui ne rend que plus efficace une réflexion sur la vie, la mort, sur le sens de tout ça…

J.Cz

Jean-Francois Fournier, Jacques fils du tonnerre, Editions L’Age d’Homme, 1995.

 

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