L’édito de René Zahnd, en mai 1999, contre aux qui « freinent à la montée »…

Faire connaître des livres, partager nos plaisirs, donner la parole aux auteurs (qu’il faut souvent supplier de la prendre), telle est la vocation affichée par la rédaction du Passe-Muraille.

Sans déroger à nos attitudes de lecture, nous devons aujourd’hui témoigner de notre inquiétude. Le climat de ce pays nous alarme, en particulier celui qui prévaut dans les milieux de l’écriture. Au nom d’intérêts mesquins, des fossoyeurs d’acabit variable s’appliquent à nier une réelle richesse: la littérature qui s’invente et se publie en Suisse romande.

Tel auteur confirmé s’imagine grandir en pratiquant l’éreintement des autres: à chaque occasion, il réduit en charpie le travail de ses jeunes confrères. Tel journaliste excelle dans l’attentat critique: il multiplie des articles et des formules indignes (nous en offrons quelques illustrations dans ce numéro, page 23). Tel professeur joue au précepteur en déontologie, posant au dernier des justes.

Que de prétention, de non-dits, de motivations brumeuses derrière toutes ces interventions. Que de tristesse humaine aussi. Et de détresse en fin de compte.
Sans doute ces vaines agitations peuvent-elles être tenues pour anecdotiques. Mais le problème est qu’elles instaurent, dans les médias et dans une partie du public, un climat de dénigrement systématique. Pour ne rien arranger, la Suisse romande s’enfonce dans une lourde apathie, où des paresses de toute nature font leur nid.

Où est la ferveur qui entoure les livres ? Où sont l’ouverture et l’enthousiasme? Où les générosités et les échanges vrais? Toutes ces personnes, si mal intentionnées, si obsédées par leur ego et leur carrière, si malfaisantes finalement, ne savent pas ce qu’elles perdent. Comme leur vie changerait si elles pouvaient goûter, sans arrière-pensée, aux bonheurs de la lecture.

René Zahnd

(Le Passe-Muraille, No 41, Mai 1999)