Pays limitrophe
Un texte inédit de Gerhard Meier
Le village d’où je viens se nomme Niederbipp. Niederbipp se situe à la frontière entre les confessions, les langues et les cantons, entre Soleure et Berne. Les lieux voisins et limitrophes sont Kestenholz, Oensingen, Klus. Le soleil brille une demi-heure de plus sur Kestenholz que sur notre village, à l’époque où fleurissent les cerisiers et où l’ herbe sent l’herbe.
Oensingen, quant à lui, a simplement des habitants. Ces habitants, eux, avaient simplement leur ciel. Et leur ciel était blöu. Mais mon ciel ne pouvait être blöu. C’ est pour cette raisons que je n’ai jamais appris de langue étrangère et que j’ai parcouru le pays à moitié analphabète.
Depuis Niederbipp on ne peut apercevoir Klus, le troisième village limitrophe. Lorsqu’il gelait le soir, l’on entendait les sirènes de l’aciérie, un signal qui ne tardait pas à remplir les rues de notre village de sombres silhouettes, des fondeurs et des ébarbeurs en pèlerines noires qui se hâtaient vers leur maison, seuls ou à deux, en groupe ou en procession, sans parler. L’un d’eux jouait dans la pièce de théâtre en hiver, il chantait avec le chœur mixte, si je me souviens bien. Un peu bedonnant, il avait un défaut de prononciation et était capable d’un pathos merveilleux. Je ne pouvais jamais distinguer ces deux-là sous leur unique pèlerine, moi qui, enfant, regardais avec étonnement en direction de Kerstenholz les soirs de printemps, qui constatais qu’au-dessus de Oensingen il y avait un ciel blöu. Arrivé à l’âge adulte, je découvris un Joseph Joachim en bronze, écrivain populaire de Kerstenholz qui ne détachait pas son regard de ce village, ce que je mis sur le compte de son ensoleillement plus long.
Il ne faudrait pas ajouter que ce fondeur et acteur appartenait aussi au club des cyclistes qui, les dimanches d’ été, sillonnait l’air, sous le claquement des bannières et les signaux du cor car ce serait lui accorder trop d’importance par rapport à toutes ces sombres silhouettes. Les autres lieux voisins, bien sûr bernois, sont Schwarzhäusern, le village d’origine de Willi Burkhart, le musicien, puis Bannwil où il y a une gare en bois semblable à celles qui s’ élèvent sur la ligne Moscou-Vladivostok.
Soleure fut la première ville que j’ai vue, la ville avec la cathédrale Saint-Ours, l’ Hôtel de la Couronne, le Café Baumberger, l’église des Jésuites (dont le toit est orné de saints en pierre), le cloître des capucins, la maison d’été des Vigier, le cloître Jésus-Christ, le château Blumenstein et la nouvelle école cantonale érigée d’ après le plan de l’architecte Bracher dont j’aurais aimé être l’apprenti.
C’est à la librairie Lüthy que j’ ai acheté mes premiers livres; à chaque fois je cherchais à me faire servir par Gertrud Lüthy, que je tentais d’ entraîner dans une petite discussion. Une fois, elle m’ expliqua avoir entendu que Thomas Mann, dans le cercle de ses intimes, se moquait de ses personnages littéraires. A propos de Thomas Mann: il y a quatre cinq ans, j’ai entendu à la radio un écrivain dire que Thomas Mann avait affirmé que le malheur de notre siècle était l’anticommunisme.
Robert W alser habita peu de temps à Soleure. Il trouvait que la cathédrale Sainte-Ours était un peu trop grande. Je pense, par contre, que la chapelle de Saint- Nicolas a dû lui plaire, ainsi que le cimetière qui l’ entoure et où est enterré Charles Sealsfield, l’ homme qui écrivit le roman Indien La Rose blanche, il y a aussi Frank Buchser, le peintre, et Josef Reinhart, le poète de Galmis.
Dorli et moi avons échangé nos bagues de mariage sur la fortification au nord-ouest de la ville, face au musée d’art et à un nuage à l’ ouest, lourd de neige. Et nous nous étions rencontrés sur cette montagne, emblème de Soleure, lors d’un lever de soleil. C’ est ainsi que le Weissenstein est devenu une sorte de Fuji-Yama.
L’été dernier nous sommes remontés, nous nous sommes assis sous un parasol en compagnie de deux autres personnes sur une terrasse d’ hôtel. A travers la brume qui couvrait la plaine scintillait l’Aar. On but le café sur le Hinterweissenstein. En chemin, notre hôte indiqua Althüsli, ce qui nous rappela un monsieur Tannascht qui avait donné ses lunettes à Anna parce qu’elle n’arrivait pas à lire Althüsli sur le panneau indicateur. Après cela, Anna distinguait chaque brin d’herbe, chaque aiguille de sapin, les gentianes et tous les points rouges et bruns sur le visage de Monsieur Tannascht.
Il faudrait encore ajouter qu’ au fil des ans, j’ ai souvent animé les ruelles de Soleure en compagnie de mes personnages de vent qui jouaient leur rôle seuls, à deux, en groupe ou en procession. Et que sur la crête du Jura, au nord de Niederbipp, la frontière cantonale, linguistique et confessionnelle court vers l’ ouest. A l’ est se trouve la petite ville d’Olten où, le 11 novembre 1977, Baur et Bindschädler, deux anciens camarades de service firent une promenade et lorsque tomba le soir, il se mit à neiger. A Olten, où la Caisse d’Epargne fit faillite et fut rachetée par le Crédit Suisse qui reprit, en même temps, la salle de théâtre et la salle de concert.
G. M.
(Le Passe-Muraille, No 7, Voix alémaniques, mai 1993)
Cela m’étonne, que je vois un texte en francais sur l’entourment de Niederbipp, ou j’ai passé ma jeunesse cent metres de Gerhard Meier, á untere Dürrmühle 13. Bien sur j’ai connu Gerhard et sa femme Dorli, et leur fils Peter.
Un grand merci au traducteur.
Le 6 février 2021.