Le Passe Muraille

Mortelle randonnée, et plus si affinités…

L’Assoiffée,  premier roman de Blaise Hofmann,

par Jean-Michel Olivier

Après un récit de voyage, Billet aller-simple, et Estive, carnet de route en haute vallée alpine, Blaise Hofmann se lance dans le roman. Et, pour son coup d’essai, il n’a pas froid aux yeux, puisqu’il se glisse dans la peau d’une femme, Berthe, la trentaine, en rupture so-ciale, pour raconter sa révolte, d’abord, sa soif de liberté, puis sa dérive mortelle.

Scandé en trois parties, le périple de l’héroïne commence à Lausanne, où elle travaille comme assistante de direction sous les ordres d’une amie d’enfance, redoutable executive woman. Quand elle rentre chez elle, c’est pour retrouver son petit ami, tendresse plan-plan et routine quotidienne. On sent Berthe tout près du point de rupture. Il arrive un beau jour, presque par accident, alors qu’elle se balade à vélo. Un pneu crevé, de nouvelles rencontres, l’envie de poursuivre son chemin Dieu seul sait où: comme une seconde chance pour sortir de l’étau des jours gris. Chaque rencontre est un événement, pousse Berthe un peu plus loin sur le chemin de la liberté. Quête de soi qui passe par l’aventure, l’expérience du temps mort et de la faim, de l’errance, de l’absence de tout port d’attache.

Blaise Hofmann a les sens aguerris. C’est un observateur, doublé d’un moraliste: au fil des jours, la fuite de Berthe se transforme en voyage initiatique, un voyage jalonné de rencontres et de découvertes, de peurs et de désirs. Hofmann excelle à observer les gens, à décrire une nature qui n’est pas toujours bienveillante, à creuser cette envie d’aller voir ailleurs si la vie est plus belle…

La seconde partie de L’Assoiffée montre Berthe dans la rue, à Paris, fréquentant SDF et clochards, dormant dans les toilettes publiques, mendiant un peu d’argent à la porte des supermarchés, vivant ou survivant d’expédients. On a parfois un peu de peine à suivre Berthe dans cette longue descente aux enfers où tout esprit de révolte, toute résilience, semble l’avoir abandonnée. «Ne pas hésiter à perdre la face. Aller au bout de mes maladresses. Errer comme une provinciale pas peu fière d’avoir fait le déplacement. Être heu-reuse.»

Ce bonheur, Berthe ne le trouvera pas à Paris où elle s’enfonce chaque jour davantage dans la misère et la marginalité. Pourquoi est-elle à ce point passive et désespérée? D’où vient ce malheur qui l’habite? Que (ou qui) cherche-t-elle si vainement à fuir?

La troisième partie laisse ces questions en suspens. Recueillie par un routier qui lui raconte sa vie (étonnant dialogue dans un roman presque entièrement écrit sous forme de monologue), Berthe va se retrouver sur la côte normande, si chère à Marguerite Duras. Cette ultime rencontre, dont on pressent qu’elle aurait pu être décisive, cette dernière chance, Berthe ne sait pas la saisir. Elle poursuit sa dérive au fil des dunes de l’Atlantique, s’interroge encore une fois sur sa vie — et sur le monde qui l’a abandonnée. La liberté, est-ce la mort? Toute émancipation (par rapport à la société, au monde du travail, au couple) est-elle forcément impossible? Se chercher, se trouver, à travers une errance ponctuée de rencontres et de découvertes, est-ce nécessairement se perdre?

J.-M. O.

Blaise Hofmann, Billet aller simple, l’Aire bleue, 2006, 283 p.Estive, Zoé, 2007, 176p. Prix Nicolas Bouvier 2008. L’Assoiffée,roman, Zoé, 2009, 171p. Vient de paraître: Notre mer: un tour de Méditerranée,L’Aire.

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