Le Passe Muraille

Max Schoendorff pour mémoire

Par Fabrice Pataut

Codicille 1

Une première chose remarquable : un sens inné de la comédie, de la mise en scène, de la façon dont il faut bien mélanger le vernaculaire et le sublime pour se consoler des ineptitudes de l’Europe sans cesse fatiguée d’elle-même. J’en veux pour exemple l’invitation à un vernissage de l’URDLA où chacun mangera du choux et boira un vin en carafe dont l’origine restera à jamais incertaine, le non-être de l’étiquette conjointement exhibé et passé sous silence. Ou encore une manière légère, badine et changeante de savoir où se trouve exactement Mademoiselle Cloquede René Boylesve dans une bibliothèque qui compte des milliers de livres sur deux rangées, parfois trois, dont les œuvres complètes de Nietzsche. (Il me semble que, là, les titres en allemand sur les couvertures jaunes sont en petites lettres gothiques). De ce sens  inné, dont les diverses manifestations éclosent et se referment comme une rose éternelle mécaniquement dirigée par télécommande, s’échappent d’autres divertissements non moins contraignants, conduits du pupitre par un Max drapé de Schreiber-Hollington anthracite.

Sans baguette. Car la façon de faire de Max est minimale, dépouillée de gestes tant les bras restent volontiers le long du corps et les doigts joints et parallèles. Cette réserve éloquente du torse (droit), de la nuque (droite aussi), des jambes (parallèles comme les doigts) et des bras (jamais trop écartés lorsqu’à l’équerre) est à l’opposé des jabots, torsades et mousselines des peintures.

On ne saurait trop insister sur ceci : les occupations qui s’écartent de l’usage commun, les collections d’objets combatifs, les instructions, les préambules, les faux conseils qui circulent dans l’air au moment de l’apéritif pris dans la bibliothèque de Max sont autant de diversions. Personne n’est là pour subir un interrogatoire. On s’en voudrait de répondre de front aux questions. Nous sommes assis dans la bibliothèque dont la cheminée de marbre noir a servi un jour de modèle à un élément de décor pourYvonne, princesse de Bourgognede Gombrowicz. Par une sorte d’épiphanie germanique et méridionale se manifestent des choses dont on soupçonne que Max aurait préféré les cacher un moment de plus pour mieux nous surprendre. On soupçonnera sans qu’il ait rien dit à quel point elles sont allemandes bien qu’abritées par des toits de tuiles en terre cuite. Tantôt des objets : une nonne obscène, une canne à pommeau d’ivoire, un masque, un ventilateur. Tantôt des odeurs : de cigare, d’eau de toilette, de papier. Tantôt des couleurs : bleu nuit, gris, blanc d’œuf. Tantôt des noms : Hölderlin, Larbaud, Jacob. Ils ont collectionné Max plus qu’il ne les a collectionnés et l’ont ramené avec eux rue Victor-Hugo par colbertisme.

J’ai donc un souvenir de Max qui prend par osmose la forme d’un bric-à-brac organisé. Non pas d’un faux désordre, mais au contraire d’une accumulation méticuleuse et appliquée. Ce qui revient involontairement à la mémoire se présente toujours avec une discipline qui se méfie de la dispersion, comme celle des collégiens en rang par deux ou des pâtisseries alignées en vitrine. C’est ce que tenais à dire pour commencer. Je flâne paresseusement dans cette demeure de la rue Victor-Hugo et me félicite d’être gentiment éclaboussé le temps de dévisager le cru et l’insolite d’une sage affluence de biens.

 

Pour Max Schoendorff

Heptamètres et octomètres de circonstance

 

 

Souvent le faiseur d’hapax

Croyant s’amuser de Max

Place en douceur un mot unique

À la verdeur alémanique.

La courte neige belle et froide

Des cieux sur Lyon tombée ce soir

Se satisfait d’un petit trottoir

Moins majestueux qu’à Tibériade.

C’est l’histoire d’une orange

Qui cherchait la rime idoine

Et tomba au bord du Gange

Sur Max inquiet du patrimoine.

Trop d’imprévus, un pauvre trône

Et le faiseur, à l’eau sacrée

Trouva de suite le goût du Rhône

Par faiblesse ou bien gaité.

 

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