Le Passe Muraille

Maison de l’âme, maisons des osses

 

À propos de La Maison Mélancolie de François Nourissier,

par Pascal Ferret

Il est émouvant, et non moins impressionnant, de constater que François Nourissier, péniblement atteint par la maladie de Parkinson, comme il en a déjà témoigné dans l’étonnant Prince des berlingots (Gallimard, 2003), trouve en sa décrépitude physique une espèce de regain d’énergie et plus encore de liberté d’écriture, qui va bien au-delà de la dégoise des gens « sur l’âge ». En dépit de ses tours singeant la parlure contemporaine, un brin canaille ici et là, comme s’il se moquait du fantôme gris qu’il ne saurait trop « kiffer » dans sa glace matinale, l’écrivain épure au contraire, allège, effile sa langue pour la faufiler à travers époques et souvenirs, de maisons en maisons.
Celles-ci, dont il visita plus de cinq cents, auront figuré tour à tour la thébaïde rêvée de l’écrivain, comme il en fut du presbytère de Faverolles où se planqua Victor Hugo et qu’il céda lui-même à Julien Green après n’y avoir fait que passer ; le chalet de famille, style « dessine moi une maison suisse », tout en bois craquant sur les hauts de Caux, où il commença d’écrire Un petit bourgeois au milieu des pleurs de môme – quitte à se réfugier au Montreux-Palace pour peaufiner son manuscrit, dans le voisinage de Nabokov ; le château habité « comme un vêtement trop large » avec ses vingt-trois pièces, au nom crénelé d’Arpaillargues ; l’hôtel particulier parisien et sa pléthore de fauteuils de style (le pauvre en recense plus de quatre-vingts), tant d’autres encore et dont on se fiche bien à vrai dire, étant entendu qu’il s’agit ici de tout autre chose que de l’inventaire complaisant d’un proprio doré sur tranche.

De fait, et même si l’on sourit, tout au début, lorsque l’écrivain relève que « l’argent ne fait rien à l’affaire, ou pas grand-chose », c’est par le détail proustien et l’oreille intérieure, si l’on ose dire, que cette chronique, discontinue et même divagante ( mais alors au sens des Divagations inspirées d’un Mallarmé) nous conduit comme en un labyrinthe tout vibrant de l’ « admirable tremblement du temps » baudelairien, dont maintes scènes et silhouettes renvoient à l’œuvre autant qu’à celles du siècle écoulé.
« Toujours, l’amour a touché les maisons, écrit François Nourissier, et les a contaminées (…) Une maison, ça sent toujours le lit, le pli de chair, l’amour. Quand une fois, le nez a senti ça, il ne peut plus s’en moucher : ça pue la liquette, le drap froissé, la sueur au parfum ou le parfum à l’huile de coude, à votre choix. Il y a des images d’amour prisonnières des miroirs qui les ont reflétées. Elles n’attendent qu’une occasion, vite, vite ! d’échapper à l’aquarium où nagent les blafardes sirènes, les noyées aux longs cheveux, les femmes qui disent : « Je suis le sosie d’Ophélie, vous n’avez pas remarqué ? – Ah, Madame, il faudrait être meilleur physionomiste que moi… »
Ce lyrisme et ce sarcasme, c’est tout Nourissier, tendre et vache, élégant et lucide, sachant que la littérature diariste préfigure en somme la « chiasse » finale et que « quelque part » l’asticot blanc « toujours premier partout » en son « impatience annelée » et ses « déhanchements de houri » se réjouit de goûter à la carne enrobant notre maison d’os avec le même appétit que nous mettons à mordre dans la prose du Maître…

François Nourissier. La maison Mélancolie. Gallimard, 247 p.

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