Le Passe Muraille

Le sens des petits riens

En lisant Maurice à la poule de Matthias Zschokke, 

par Laurence de Coulon

Maurice s’ennuie ferme dans son bureau de la banlieue au nord de Berlin. Il ne fait rien, a horreur de parler, même à ses amis, écoute les notes d’un violoncelle à travers le mur de la maison voisine, se demande qui est à l’origine de ces notes douces, mais ne vou-drait surtout pas le savoir pour de bon: la simple perspective d’apprendre des faits l’effraie. Un curieux personnage pour un étrange roman. Maurice à la pouleconte sa vie, mais elle est insignifiante, ce dont il a conscience, et d’ailleurs il préfère fréquenter les gens ennuyeux. Il écrit à son asso-cié Hamid: «la seule chose qui m’occupe, c’est de ne pas laisser monter la panique et de m’habituer peu à peu à cette façon vaine et molle de ram-per d’un jour à l’autre.» Là réside tout l’enjeu du roman: l’absence de sens.Les «contacts sociaux sont une exigence éhontée», les êtres humains ne changent pas, et aucun jeu n’en vaut la chandelle. Maurice estime que rien n’est digne d’être discuté lors d’une conversation avec un vieil ami, et certainement moins encore les problèmes de la banlieue. Tout dialogue avec un ami doit évacuer la politi-que. Maurice ne changera pas le monde, il ne s’engagera pas. Mais le roman lui, ne refuse pas la description de la société en termes économiques et so-ciologiques, avec une ironie assez subversive. Les phrases ne retiennent que les faits, sans adoucir aucunement la réalité, et cette brutalité comporte un effet comique.Le tout garde une distance amusée par rap-port à l’anthropologie et à la sociologie: «J’aime beaucoup aussi écouter les Noirs ou les Esquimaux quand ils parlent de leurs histoires. Ou les pin-gouins, les ours polaires et les gnous. Tous, ils parlent de rituels, d’habitudes, de cou-tumes, de réflexions qui ont cours chez eux et qui sont ini-maginables pour moi.»En plus de débiter son ré-cit sur Maurice et de peindre la banlieue avec ironie, le nar-rateur joue avec son lecteur, brise régulièrement l’illusion romanesque en prétendant par exemple qu’il ne maîtrise pas ses personnages, et ne se re-fuse pas quelques digressions. Alors que Matthias Zschokke rompt la linéarité du récit, et omet les faits saillants et les événements héroïques alors qu’il favorise les détails et les personnages insignifiants, il rappelle le besoin fondamen-tal de l’homme pour le récit: «nous voudrions avoir un destin, une histoire, un bon gros fil rouge». Sans récit pas de sens. Et la vie dans Maurice à la pouleen paraît bel et bien privée, si ce n’est qu’il finit sur un sourire, un sourire sur le bonheur des petits riens.

L. d. C.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, traduit de l’allemand par Patricia Zuercher. Editions Z0é, 2009, 258p.

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