Le naufrage américain de Louis Soutter
Un roman de Pierre Furlan éclaire un épisode méconnu de la vie du génie farouche,
par René Zahnd
On sait peu de choses sur le séjour que Louis Soutter fit à Colorado Springs au début de ce siècle. Il y resta pourtant sept ans, avant de revenir en Suisse, de retrouver sa soeur, et de s’abîmer dans son art, comme s’ il avait subi, au contact du Nouveau Monde, une manière de catharsis. Mais là où les traces historiques manquent s’ouvre un espace pour le romancier: Pierre Furlan s’y est engouffré avec bonheur.
Son personnage s’appelle Arthur Stoessel, peintre et musicien de son état. Il enseigne les beaux-arts et a épousé la fille d’une famille honorable. Toutes les conditions paraissent réunies pour que le talentueux jeune homme – on le considère comme tel – puisse prendre son envol et gravir les marches de la célébrité. Et pourtant, l’individu n’ en- tend guère se plier aux règles du jeu. Sa nature est rebelle. Pour commencer, il vit avec sa femme dans une chambre d’ hôtel et ne parvient pas à lui donner un enfant. Ensuite, il se compromet avec une de ses élèves.
Fasciné par Johann Suter, le généralissime dont Cendrars fera le héros de L’Or, symbole de la réussite américaine, Stoessel essaie d’actionner quelques leviers dans la ville de Colorado Springs. Il veut réussir, à sa manière, et s’ouvre quelques perspectives prometteuses. Mais, en fait, les règles du jeu lui échappent, et il finit par être rejeté, expulsé de ce monde. De retour en Suisse, il n’a rien, il n’ est rien. Juste un formidable artiste en devenir.
Dans ce roman, Pierre Furlan brosse la peinture édifiante d’une société à visage puritain, qui se révèle d’ une hypocrisie totale. Colorado Springs est d’ ailleurs coupé en deux, avec un territoire honorable et une sorte d’ enfer (de paradis?), où fleurissent les bordels et les catins. Même Stratton, le plus puissant citoyen de la ville (une figure à la Johann Suter, justement), franchit parfois cette frontière. Et puis, à travers son récit, Furlan livre toute une réflexion sur la création artistique, sur les choix à faire, avec au bout du compte cette vérité incontestable: l’ artiste doit être d’ abord lui-même.
R. Z.