Le Passe Muraille

Le message lumineux de Christine Singer

      

À propos de Derniers fragments d’un long voyage, récit testamentaire,

par Jean Perrenoud

Chère Amie,
C’est avec un gros rhume fiévreux que je t’écris cette lettre qui, je l’espère, te trouvera, toi, en bonne forme ! Le corps qui se rebelle me permet simplement de me rendre compte modestement de la perte des odeurs et du miracle permanent qu’il y a à être en bonne santé. Tu m’as dit ton inquiétude, ton incertitude à vouloir lire le dernier, l’ultime ouvrage de Christiane Singer, qui parle de son cancer et de sa lutte contre cette maladie terrible qui va avoir raison (?) d’elle le 4 avril 2007.

 

Je te réponds aujourd’hui en formant le souhait que mon message te donne précisément la quiétude et la certitude qu’il est indispensable de lire ces Derniers fragments d’un long voyage. Le titre, évocateur de souffrance par le long avait une variante qui n’a pas été retenue au final. Christiane Singer s’était en effet proposé d’intituler ce journal Derniers fragments d’un grand voyage. Et c’est bien ainsi qu’il faut comprendre ce parcours vers l’autre côté du miroir. On peut y croire ou non, on peut penser à la fin de toute chose, mais c’est un tout autre mes-sage que nous offre l’auteur, comme promis, et dans la joie… Je crois que ce livre a vraiment sa lumière propre. Cette lumière, Christiane Singer nous en donne un témoignage bouleversant et nous avertit : Notre devoir le plus impérieux est peut-être de ne jamais lâcher le fil de la Merveille. Et plus loin, « Quant à ceux qui voient dans la maladie un échec ou une catastrophe, ils n’ont pas encore commencé de vivre ». Et ceci : « J’ai la preuve que tout n’est qu’amour. Tout ce que je savais du bout des lèvres, aujourd’hui, je suis en passe de m’y noyer ». Puis, « L’amour n’est pas un sentiment, c’est la substance même de la création ».

Il est vrai que Christiane Singer a des dons exceptionnels. Son humour, sa foi et son expérience de vie lui permettent certainement d’affronter l’insupportable mieux que le commun, cependant On peut bien sûr être malade, cruellement malade pour avoir confirmation de sa malchance et toutes les rai-sons de se lamenter. Beaucoup vivent la maladie comme une pause douloureuse et malsaine. Mais on peut aussi monter en maladie comme vers un chemin d’initiation, à l’affût des fractures quelle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu’elle ouvre vers l’infini. Elle devient alors l’une des plus hautes aventures de vie. Je souligne, mais il y aurait tant à souligner, tant à partager de cet écrit. Nous n’avons pas même à être reliés: nous sommes à l’intérieur des uns et des autres. C’est cela le mystère. C’est cela le plus grand vertige. Au fond, je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle: de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre.

Bien sûr il y a l’extrême douleur, les longues nuits, les organes qui ne fonctionnent plus, les ponctions, les sondes. J’étais aux anges tout à l’heure d’avoir les poumons vidés de deux litres d’eau rouge. Maintenant tout me fait mal. Mais aussi Derrière l’incommensurable souffrance, j’ai vu l’abîme sans fond de la tendresse des mondes et Cette nuit, je me suis ménagé de grands espaces pour aimer. Je ne sais l’exprimer autrement. Il y a bien entendu l’environne-ment hospitalier, les autres patients, tous les soignants, les êtres de religion, toutes les visites si précieuses, les lettres, les espoirs du mieux, et puis la vie chaque jour qui va. Nous sommes appelés à pleins poumons à faire neuf ce qui était vieux, à croire à la montée de la sève dans le vieux tronc de l’arbre de vie. Nous sommes appelés à renaître, à congédier en nous le vieillard amer!!!

Comment supporter tant de douleurs ? Patience : la clef de l’univers, patience, le chemin de l’humilité absolue, une minute après l’autre, un inspir après l’autre. Pas un pas ne sera sauté, pas un seul. Comment tenir ? Je peux lâcher pour de bon sans me sentir démissionnaire. Une force plus grande est à l’oeuvre devant laquelle je peux aussi m’incliner. Il s’agit à la fois de continuer de s’intéresser au temps présent Refaire de l’esprit européen cette alliance entre politique, culture et foi dont rêvait Jakob Burckhardt et préparer l’inéluctable Ma dernière prière : ne soyez pas déçus que la mort ait en apparence vaincu; ce n’est que l’apparence, la vérité est que tout est VIE, je sors de la vie et j’entre en vie. Voilà c’est tout. La suite t’appartient : prendre ce texte à bras-le-corps et le lire d’une traite ou alors le picorer doucement, comme un moineau des grains de blé. Il n’y a pas d’autre alternative pour moi. Peut-être, en plus, y aura-t-il ensuite pour toi d’autres (re)lectures comme Les Ages de la vie ou N’oublie pas les chevaux écumants du passé.

Je termine avec ceci : ma libraire vient de m’indiquer que Derniers fragments d’un long voyage a connu un tel succès qu’il est déjà en mai —alors qu’il est sorti il n’y a que peu — en réimpression. Donc patience.

Tout de bon. Vis fort. Jean.

J.P.

Christiane Singer. Derniers fragments d’un long voyage. Paris, Albin Michel, 2007, 135 pages.

(Le Passe-Muraille, No 73 , Juillet 2007)

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