Le Passe Muraille

Le crash de Sollers

 

Retour sur L’étoile des amants,

par Pascal Ferret

Philippe Sollers nous avait avertis: son roman à paraître serait «un 11 septembre éditorial». Tout aussitôt les uns furent tétanisés d’impatience, en attendant l’Evénement, tandis que les autres, fatalistes ou désabusés, y voyaient plutôt le supercrash annoncé. Plus précisément, ce qu’on peut en dire est que Philippe Sollers s’y est laissé aller, en jouisseur cynique et polymorphe, comme un vieux chenapan dans une mousse-party qui titillerait la minette Maud d’un doigt distrait tout en jetant, de son autre main sèche, de fines notes digressives sur un peu tout. De fait, ce livre qui se veut ludique brille surtout par sa cuistrerie, un roman qui n’en est pas un dans la mesure où nul personnage n’y vit à part le Moi-je magistral de l’auteur se trouvant si belle en son miroir, où rien ne se passe ni ne se pense de vraiment inattendu, où l’on s’embarque pour Cythère comme d’autres vont faire du trekking dans l’arrière-pays népalais ou du camping échangiste au cap d’Agde.

C’est entendu: Philippe Sollers méprise les «temps merdiques» que nous vivons, où Steevy remplacera demain Beigbeder qui remplaça hier Bernard Pivot, en attendant que Madonna se propulse au Vatican pour y succéder au successeur de saint Pierre. Ce dédain de l’homme cultivé, né coiffé et surdoué, puis macéré dans les décoctions de tous les «ismes» – du gauchisme de salon au structuralisme de transit, pour aboutir à l’hédonisme «dix-huitiémiste» et au cynisme enfin déployé toute honte bue -, cette morgue joyeuse de séducteur, son compère Dominique de Roux les avait repérés, il y a trente ans déjà, dans un portrait prémonitoire (l’un des chapitres de L’ouverture de la chasse, paru à L’Age d’Homme en 1969) où il le présentait comme le type du fils à papa déliquescent, accomplissant sous forme pseudo-révolutionnaire le suicide de toute une littérature bourgeoise tournant à vide. Evoquant les livres (actuellement illisibles) du Sollers de l’époque, Dominique de Roux reconnaissait à l’écriture de celui-là une brillance étincelante, qu’on retrouve dans L’étoile des amants, aussi lisible cette fois que les Mémoires de Loana.

Cependant, précisons pour les ignares (il pense que nous en sommes tous, sauf lui) que Sollers a plus de biscuits dans sa musette que Loana et Steevy réunis: à en lire Paris-Match, auquel il se confie, il serait même le plus grand connaisseur actuel et futur de la pensée chinoise. Son livre nous vaut d’ailleurs une excursion en Chine du VIIIe siècle, avec Maud. Se penchant sur Maud, Philippe lui explique la neige chinoise, la barque et la natte, avant de révéler à la même Maud qu’elle n’est qu’un «galet sur la plage». Beaucoup plus fort: Fifou découvre à Maud (dont le prénom lui évoque «modèle, modelage, modalité, module», et autres bidules) les noms des zoiseaux du monde, tels avocette et fou de Bassan, pluvier, tadorne de Belon, chevalier gambette et compagnie. Quelle découverte n’est-ce pas ? Mais Sollers sait-il discerner, ailleurs que dans le dictionnaire où il fourre son nez, un pétrel fulmar d’une marouette ponctuée? On se le demande quand même…

Ce qui est sûr en attendant, c’est que son éloge de la vie «ingénue» sonne terriblement creux. Qu’il critique la littérature actuelle, au fil de piètres pages «satiriques» où il dégomme le style Minuit ou le style P.O.L., ou qu’il prétende bousculer les parallèles avec «un livre entier sur la jouissance d’exister», Philippe Sollers romancier s’empêtre dans un épisode de feuilleton auquel lui-même ne croit guère à l’évidence. Céline disait que le roman français actuel se réduisait à la «lettre à la petite cousine». Or Sollers, tout mariole qu’il se la joue, s’y plie avec une veulerie d’époque qui ne trompera que les jobards dont il est le roi. Reste l’écrivain, hélas…

Philippe Sollers. L’étoile des amants. Gallimard, 175 pp.

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