Le Passe Muraille

Le bourdon de l’apiculteur

À propos du Silence des abeilles, de Daniel de Roulet,

par Jean Perrenoud

Aujourd’hui 5 novembre 2009, le Courrier de Genève titre en page 6: «La santé des abeilles entre les mains des agriculteurs»…

Cette préoccupation soudaine du politique pour l’avenir de nos sœurs ailées m’oblige à reprendre la lecture du récent roman de Daniel de Roulet, Le Silence des abeilles. J’avais en effet prévu un autre titre pour ce papier, comme Le silence de l’amer, en référence à Vercors, où je mettais en parallèle le lourd silence en forme de résistance d’une famille recevant un officier allemand chez elle durant l’occupation et la résistance active de Sid, jeune apiculteur un peu néo-naze, fasciné par le silence bruissant des abeilles, parfois venimeuses, et leur mort annoncée, voire programmée par la cupidité humaine.

L’actualité m’a ainsi contraint à trouver un titre plus juste et sans amertume.D’amertume, il n’y en a point dans le roman de Daniel de Roulet, simplement une constatation: les abeilles meurent et les humains que nous sommes ne pourront leur survivre.

Avec l’histoire de Sid, Daniel de Roulet recoupe celle de la Suisse de la fin des années 1980 à nos jours. Sid n’est pas un api (happy) apiculteur comme le chantait le regretté Alain Bashung: il mélancolise. Il ne sait pas trop à quoi se raccrocher, dans cette Suisse sans mer où coule le lait et le miel: «mange, mon fils, car il est bon!» aurait dit l’antique Salomon.

Sid navigue entre dérive d’extrême-droite et éco-terrorisme flanqué d’abeilles guerrières (qui se retournent contre leur maître), entre packs de bières descendues en quelques lampées bruyantes et amours japonaises. Sid repré-sente un portrait convaincant d’une certaine jeunesse en plein désarroi, qui essaie coûte que coûte de grandir et de trouver du sens dans le foutoir contemporain, issu des années soixantuitardes et pris dans les barbelés protégeant le Forum de Davos.

Emaillés d’événements authentiques, d’expres-sions helvétiques savoureuses, dont le lecteur français trou-vera la traduction sur www.danielderoulet.net, les chapitres du Silence des abeilles nous permettent de suivre jusqu’à nos jours l’évolution de Sid et de la Suisse contemporaine, à la sortie des trente glorieuses, les fameuses années où l’argent coulait à flots, comme le lait et le miel justement. Le ton du roman, celui du personnage principal, souvent, est à la fois léger et grave, léger comme la vie suisse, grave comme les événements parfois incompréhensibles du monde.

«Dans la solitude du mayen, tout en coupant son bois, Sid essaie de comprendre ce qu’il fait sur terre, à quoi ont servi les guerres décrites chaque semaine dans les illustrés d’un autre temps, Dans un cahier bleu, il enferme ses phrases avant qu’elles ne s’échappent: «On ne peut pas devenir suisse, on naît comme ça, confédéré, et l’on n’en guérit plus.»

Autant Un Dimanche à la montagne m’avait paru complaisant et surfait, autant j’ai apprécié de lire et de revenir au Silence des abeilles, roman dont la maturité de l’écriture est perceptible.

J.P.

Daniel de Roulet, Le Silence des abeilles, Buchet Chastel, 2009, 230p.

(Le Passe-Muraille, No 89, décembre 2009)

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