Le Passe Muraille

La poésie comme un prisme lumineux

À propos des deux recueils du poète espagnol Mario Martín Gijón,

présenté et traduit par Miguel Àngel Real

 

La poésie de Mario Martín Gijón ouvre de nouvelles perspectives au langage. Ses vers acquièrent une entité particulière, liée souvent à des jeux phonétiques ou sémantiques, qui sont parfois accentués par des propositions de double lecture qui vont dans le sens d’une recherche poétique profonde. Il s’agit aussi, pour le traducteur, d’un défi très intéressant: Quand l’auteur écrit, dans son poème “faux souvenirs”,

“de una plácida existencia sabia

mente controlada”

la lecture est multiple: l’adverbe “sabiamente”, sagement, ouvre une autre interprétation si on lit deux mots séparés: “sabia / mente”, c’est à dire un esprit sage ou savant. Notre choix se porte vers la solution suivante

d’une existence sage plac

idée contrôlée

qui respecte l’audace linguistique de l’auteur, en proposant un jeu de mots entre “placide” et “idée”, dont le champ lexical se rapproche de l’original.

Il en est de même pour le poème palabras o-sí-ficadas, où Mario Martín propose “colum(n/br) as”, c’est-à-dire “columnas” (colonnes) et “columbras” (tu aperçois, tu devines). Nous proposons “tu éta(l/y)es”, pour jouer entre “tu étales” et “tu étayes” dans un poème où il est question d’architecture et de sens.

Nous vous laissons découvrir les autres trouvailles de l’auteur, car chaque poème propose donc plusieurs relectures qui élargissent le champ des possibilités du langage, dans une écriture qui comme un prisme démultiplie la lumière.

 

Extraits de Latidos y desplantes.

(Ed.Vitruvio, 2011)

 

como una sábana sin fin

blanca y fresca

así el tiempo contigo

 

comme un drap sans fin

blanc et frais

ainsi le temps avec toi

 

***

un temblor infinito

sacude el bosque

de mis nervios

que se alargan como aullidos

que quieren alcanzar

la piel de tu memoria

 

un tremblement infini

secoue la forêt

de mes nerfs

qui s’allongent comme des hurlements

qui veulent atteindre

la peau de ta mémoire

***

 

falsos recuerdos

esa calidez ácida del té

en la que flotaba la carne

del limón como el resto

de una mutilación absurda

al adentrarse en mi garganta

me trajo el recuerdo

absurdo y no vivido

de una plácida existencia sabia

mente controlada

 

faux souvenirs

cette chaleur acide du thé

où flottait la chair

du citron comme le reste

d’une mutilation absurde

en pénétrant dans ma gorge

m’a apporté le souvenir

absurde et non vécu

d’une existence sage plac

idée contrôlée

***

 

espectáculo

fugacidad de los cuerpos en

cantados por la mirada

 

spectacle

fugacité des corps en

chantés par le regard

***

 

persistencia de la memoria

rememorar no siempre es

rememorir

latente dilatar de los sentidos

en un cuerpo-avatar hecho pasado

no olvidas las vidas que viviste

y las que no viviste

 

persistance de la mémoire

 

rémémorer n’est pas toujours

rémémourir

dilatation latente des sens

dans un corps-avatar devenu passé

tu n’oublies pas les vies vécues

et non vécues

 

Extraits du  Tratado de entrañeza

(Ed. Polibea, 2014)

 

p a l a b r a s o – s í – f i c a d a s

 

arquit(e/a)ctos

de la distanc(i/l)a

                           dos

en la arquitextura

de escritos huesos

colum(n/br)as

nuestros límites.

 

mots os-si-fiés

archit(e/a)ctes

de la distancia(c)tion

dans l’architexture

d’os retranscrits

tu éta(l/y)es

nos limites

 

***

i m p r e c a c c i ó n

des(a)nuda el peplo

de distanci(a/e)ga

que te cubre

                    ga

contra el tiempo

                          drido

en separac(c)ión

                           más noble

no puedo imaginar

 

imprecaction

dén(oue/ude) le péplum

de distance

                  cité

qui te défend

                     ille

contre le temps

                       ourd

en sépara(c)tion

                          plus noble

je ne peux pas le concevoir

 

MARIO MARTÍN GIJÓN (Villanueva de la Serena, Badajoz, Espagne, 1979), docteur en philologie hispanique, est professeur à l’Université d’Extremadura (Cáceres). Il a publié quatre recueils de poésie:  Latidos y desplantes (Vitruvio, 2011), Rendicción (Amargord 2013; traduction à l’anglais: Shearsman Books, 2020), Tratado de entrañeza (Ed. Polibea, 2014) et Des en canto (RIL Editores, 2019). Ses poèmes ont été traduits aussi en italien, roumain, polonais, allemand et chinois.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *