La littérature romande est-elle malade de l’Université ?
L’éditorial de René Zahnd
Depuis longtemps il existe, de Genève à Fribourg, de Lausanne à Neuchâtel ou à Berne, une grande tradition critique, dans le meilleur sens du terme, vivifiée par quelques foyers: les sections de français des différentes facultés des lettres.
Songeons aux écrits lumineux de professeurs tels que Jean Starobinski (que nous sommes heureux d’accueillir dans ce numéro), de Pierre-Olivier Walzer, de Jacques Mercanton ou de Jean Roudaut, pour ne pas remonter trop loin dans le temps. Ils ont signé des pages magnifiques, remplies d’analyses pénétrantes. Ils ont publié des ouvrages dont le pouvoir était d’abolir la frontière des genres. Toute leur énergie, en dehors du travail avec les étudiants, était tournée vers l’éclairage des œuvres, vers la révélation des textes, vers l’édition d’auteurs parfois injustement oubliés. Ils ont poursuivi cette tâche, et la poursuivent toujours pour certains d’entre eux, en humanistes que la littérature passionne et interroge. Derrière leurs publications se devinait la personne.
Tout en assimilant la recherche de leur temps, ils n’ont pas agi en théoriciens, pas en vains décortiqueurs de virgules, persuadés de détenir l’unique savoir des lettres et qui se plaisent à considérer, dans le sillage de Genette et de quelques autres, la littérature comme une science exacte.
Mais les temps changent. Comme arrivent de nouveaux auteurs, de nouveaux journalistes, de nouveaux éditeurs, voici que débarquent les nouveaux universitaires. Et ils prennent de la place. Car, phénomène plutôt récent, cette docte gent devient très active hors des facultés. On la retrouve cooptée dans toutes sortes de commissions, d’organismes, de jurys. La voilà qui décide à quels auteurs donner des subventions, lesquels méritent d’être traduits ou invités dans telle manifestation, et ainsi de suite. On croit rêver. Ce noyautage du système, la confusion des valeurs qu’il génère, les conflits d’intérêts qui s’y manifestent et qui entraînent une forme de cloisonnement, laissent présager de sombres lendemains. Hors du profil type, pas de salut pour l’écrivain.
En fait, tout laisse à penser que la critique universitaire voudrait précéder la création littéraire. Alors qu’elle n’en est, ou n’en devrait être, que l’étude et le commentaire. C’est sa limite, mais aussi sa grandeur.
René Zahnd