Le Passe Muraille

La fille en jaune

 

L’Épistole de Marie-Claire Dewarrat

Je n’y  peux rien, ça vient d’un passe-muraille d’Angleterre. Un message d’outre là-bas, envolé sur un coup de vent des Cornouailles, qui apporte des nouvelles d’ Alice et qui dit le temps qu’il fait au pays des merveilles. Assez beau d’ailleurs, si l’on en juge par le vert proprement britannique des deux carrés de gazon de la cour du château, herbette en overdose de chlorophylle pour un hommage au passe-muraille qu’accueillent cet été les remparts de Gruyères.

Patrick Woodroffe: ça claque, ça mugit comme l’embrun contre la roche. C’est lui qui connaît la fille en jaune et quelques autres, l’Arbre aux serpents, les Chemins de la Falaise et Alice. Il s’est installé dans les salles basses du château avec ses visions fantastiques, son génie des couleurs, sa technique d’ entomologiste et son œil tout bleu. Il a pris sous son bras une rétrospective de son travail d’ artiste, des maquettes et des décors de cinéma, des géants, des monstres, des oiseaux qui rêvent de devenir des vaches et des vaches qui se prennent pour des pies. Humour anglais.

Woodroffe se feuillette comme un livre de contes avec tout ce qu’il y a de sérieux, de cruel et de tendre dans les peurs enfantines.

Woodroffe se regarde comme une vision d’ outre-mondes avec tout ce qu’il y a de prémonitoire dans l’œil des peintres.

Woodroffe se déchiffre comme un grimoire avec tout ce qu’il y a d’éternel et de secret au fond de l’esprit des hommes.

C’ est une infusion de menthe servie dans un crâne d’ivoire poli; il reste un peu de sang sur le bord de la soucoupe…

Quatrième passe-muraille invité à Gruyères, le peintre anglais succède à l’ Allemand Rauch, au Suisse Giger et au Yougoslave Lujba. Intra muros. L’endroit possède une sorte de matrice intemporelle où nidifient et s’épanouissent les créations fantastiques des artistes contemporains : les enfers mécaniques de Giger et les cavernes lumineuses de Lujba y ont trouvé leurs places exactes tout comme les peintures de Rauch et les fantasmagories de Woodroffe. Longtemps dévolu à la célébration du géranium et de la chaise à traire (selon un mot de son conservateur Etienne Chatton) le Château de Gruyères a pris rang, en quelques années, parmi les musées les plus intéressants de Suisse. C’ est un relais international et obligé de l’art fantastique car, au-delà de la simple dénomination, les œuvres et le lieu y trouvent leur dynamique propre, leur fusion, leur nourriture. C’est un endroit quelque peu magique qu’il faut décou- vrir par temps d’ orage, entre le vert «druidique» des pâturages et le violet bleuâtre du ciel.

C’est ce mystère du lieu que l’on retrouve dans l’iconographie moderne de Gruyères proposée par chacun des artistes de passage sur la colline; ce thème unique aboutit à une richesse et à une diversité infinies qui en font une collection unique: juste fierté d’Etienne Chatton, Gruyères est le seul musée du monde à posséder une toile originale de Giger. Ce dernier devrait retrouver Patrick Woodroffe sur un projet de film adaptant la Divine Comédie: à Giger l’Enfer de Dante et à Woodroffe, le Paradis…

Si le reste du Château poursuit sa remise «en vie» par une restauration des pièces remarquablement conduite, les expositions de l’ Art Fantastique à Gruyères fêteront l’an prochain leur cinquième anniversaire par une rétrospective de Rauch, Giger, Lujba et Woodroffe, anniversaire qui célébrera aussi l’ internationalité et le goût du risque de ce musée.

Moi, au départ, je voulais juste vous écrire une petite lettre du pays du fromage, de la crème, des meringues et des vaches: une carte postale d’ ici, c’ est sans mystère. Quoique…

Elle vous embrasse, la fille en jaune, dans son pré jaune qui est aussi le reflux jaune de la mer: l’étrange, c’est de l’autre côté du mur.

M.-C.D.

(Archives du Passe-Muraille, No 2, juin 1992)

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