Le Passe Muraille

La berceuse noire de Philippe Ségur

   

À propos de Poétique de l’égorgeur,

par Cookie Allez

Au risque de paraître partiale (car c’est un ami depuis que nous avons publié notre premier roman chez le même éditeur), j’ai finalement cédé à la tentation de reparler de Philippe Ségur dont le troisième roman, Poétique de l’égorgeur, vient de paraître… De toutes façons, il ne serait guère surprenant que les critiques professionnels s’occupent beaucoup de lui dans les années à venir. A mon sens de lectrice, voici pourquoi.

Son premier roman, Métaphysique du chien, qui obtint le Renaudot des Lycéens, révélait un genre original qui partagea immédiatement les lecteurs en deux catégories, les inconditionnels, très nombreux, et les dubitatifs. Les premiers, très impatients de découvrir une nouvelle oeuvre sur les tables des libraires, se précipitèrent sur Autoportrait à l’ouvre-boite. Ce roman, moins étrange, et peut-être moins dérangeant, se révéla néanmoins de la même veine, avec cette sorte de distance intellectuelle, à la fois altière, désespérée et facétieuse, qui déstabilise un instant avant de donner envie de galoper d’un chapitre à l’autre.

On aurait du reste tort de trop se presser : dans ses trois livres, l’écriture est belle et l’histoire truffée de symboles, de très discrets clins d’oeil littéraires, philosophiques, mythologiques — en somme, de quoi s’amuser au second degré si on le souhaite.

Philippe Ségur, c’est noir et c’est clair, c’est grave et c’est gai, c’est codé, c’est toujours plein d’humour, toujours inattendu et toujours extrêmement élégant. Avec Poétique de l’égorgeur, on retrouve les mêmes ingrédients qui appellent les mêmes adjectifs et font surgir dans la tête et dans le coeur les mêmes vibrations. En plus aristocratique, en plus désespéré, en plus facétieux encore. J’ai bien l’impression que Philippe Ségur vient de franchir un pas de plus. Si l’auteur talentueux annonçait l’écrivain, le métier se révèle ici. Non par la recherche de l’effet gratuit, encore moins dans la soumission aux modes et à leurs artifices, ou encore dans l’allégeance à telle ou telle tribu plumitive. Non. Le métier se reconnaît à la beauté simple d’un style juste qui, à chaque instant, sert parfaitement le propos. De la belle ouvrage qui confirme une vocation d’écrivain remontant à l’enfance.

Poétique de l’égorgeur ne se raconte pas. Pas plus que la plupart des livres qu’on trahit en voulant à tout prix les résumer…

En revanche, pour vous permettre de mieux savourer ce roman dont le narrateur s’exprime à la première personne, j’ai très envie de vous faire une confidence. Quand il lâche sa plume, Philippe Ségur est professeur de droit constitutionnel… tout comme son narrateur et personnage principal. Cette complicité a donné naissance à des passages réjouissants sur la vie universitaire, mais ce n’est qu’une mise en bouche. Le plat de résistance, c’est la vie.

Mais où trouve-t-on l’égorgeur dans tout ça ? Dans l’histoire effroyable que raconte chaque soir le gentil professeur à ses deux délicieuses petites filles pour les endormir (et elles en redemandent I). Il y a donc une histoire dans l’histoire. Ombre et lumière. En somme, la vie, et ses questions.

C.A.

Philippe Ségur. Poétique de l’égorgeur. Buchet-Chastel, 2004, 238 pages.

(Le Passe-Muraille, No 62, Octobre 2004)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *