Le Passe Muraille

En fraternité essentielle

La relation fondamentale chez  Georges Haldas,

par Serge Molla

Un ouvrage qui s’intitule O ma soeur pourrait faire penser que, l’âge venant, son auteur se tourne vers l’autobiographie. Mais cela reviendrait à passer à côté de l’essentiel de cette étonnante chronique. Certes celle-ci achève d’une certaine manière la série que Georges Haldas a consacrée à ses parents, Boulevard des Philosophes et Chronique de la Rue Saint-Ours. Pourtant, le propos est d’une tout autre envergure, puisqu’il s’agit d’enquêter sur le tréfonds entre deux êtres qui ne semblaient guère proches. Il est question bien sûr de l’auteur et de sa soeur, mais aussi, et peut-être même davantage, de tout un chacun dans sa relation avec un proche. C’est-à-dire que Haldas, en remontant avec suspense une piste sur laquelle il entraîne progressivement son lecteur, revient sur le temps de l’enfance où le père paraissait faire bien peu cas de sa fille, puis sur la période où sa soeur assura le quotidien aux côtés de sa mère et de sa tante, jusqu’à l’évocation de son mariage. Suivent alors les années de l’éloignement mutuel « à travers lesquelles néanmoins se tisse une relation d’autant plus dense et secrète qu’elle est informulée». C’est ainsi tout le quotidien et ses non-dits qui se voit réévalué. Par l’examen d’infimes nuances, c’est la découverte de « comment la présence d’un être apparemment limité contient tout ce à quoi il est relié, qui le dépasse avec de surcroît l’illimité». Du coup, si ces pages éclairent encore un peu plus la biographie de l’écrivain, elles apportent bien davantage en révélant la densité de mystère qui fait de chacun un être unique, quelles qu’en soient les apparences.

Quelle ne fut pas par exemple la surprise de l’auteur de découvrir un jour, placés sur l’initiative de sa soeur, dans la chambre à coucher des Petites Dames (sa mère, sa tante,) les douze volumes des Sommets de la littérature espagnole qu’il avait alors édités pour le compte des Editions Rencontre. Or aujourd’hui, les Préfaces qu’il rédigea en introduction à chaque volume, regroupées et rééditées, apportent un éclairage inédit sur l’ensemble de son oeuvre. En effet ses rencontres avec les « classiques » font apparaître plus d’une «correspondance» entre les oeuvres qu’il retint (avec la complicité de son ami le poète espagnol José Herrera Petere) et la sienne. Ces « correspondances » ne tiennent bien sûr pas à l’origine de leurs auteurs respectifs, ni même à leur style, mais à ce qui mobilise leur être et en conséquence leurs propres écrits. A ce titre la préface au Don Quichotte de Cervantes apparaît comme exemplaire et il est ici étonnant de constater combien ce qu’écrit Haldas annonce ce qu’il développera plus tard dans sa propre oeuvre. Il parle du principe de la relation humaine, soit de la Petite Graine, qui prendra avec les années des accents christiques de plus en plus prononcés, bien au-delà de toute confession, quoiqu’en pensent ses critiques tout heureux d’avoir soi-disant trouvé un argument pour écarter les dérangeantes questions que soulève son oeuvre. Si avec une chronique je découvrais O ma soeur, avec les Préfaces une multitude de frères m’entourent: autant dire qu’une fois de plus Haldas réinsère chacun dans l’humaine famille, au-delà des liens de sang, des espaces et des temps, là où seules comptent les relations.

S. M.

Georges Haldas. Ô ma soeur. L’Age d’Homme, 2005, 239 pages. Préfaces aux Sommets de la littérature espagnole. L’Age d’Homme, 2006.

(Le Passe-Muraille, No 69, Août 2006)

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