Le Passe Muraille

De luxure et de mort

À propos de La mécanique des femmes, de Louis Calaferte,

par Pascal Ferret

À le feuilleter distraitement en librairie (son titre-harpon), l’on risque fort de mal juger le quarantième livre de Louis Calaferte, en n’y voyant qu’un recueil de textes lestes ou carrément obscènes.

Or il faut éviter même d’entrouvrir La mécanique des femmes si l’on est prude ou simplement délicat, et le lire au contraire d’un bout à l’autre et attentivement pour en saisir la portée réelle.

Ce sont des bribes de dialogues arrachés à la nuit, des mots crus qui expriment le désir des corps et plus que ça, des fragments de déclarations, des aveux saisis au vol, des expressions comme le populo en invente à foison dans ce registre, tantôt des morceaux de scènes de théâtre et tantôt des esquisses de nouvelles.

Mille bouches semblent alimenter ce murmure éclaté, de chambres d’hôtels en portes cochères ou en jardins publics. La présence de l’homme y est silencieuse ou réduite à un répons d’utilité, tandis que la femme parle sa fringale et sa détresse, tisse tout un réseau de mailles verbales qui forment à la fois sa toile d’araignée et son filet de funambule — car sous les mots se devinent des abîmes.

La figure qui se compose au fil des pages est celle de la fille de joie, souvent joyeuse d’ailleurs (pourquoi l’amour vénal serait-il toujours sinistre ?) ou de la femme accrochée au plaisir comme à une drogue aux délices consolatrices dans le froid de la vie.

Le lecteur s’en doute alors: rien là-dedans de la bagatelle convenue, mais un précipité de ce qu’il y a dans le sexe de voluptueux ou d’esthétique («Corps qui n’est qu’une mouvance satinée»), de destructeur ou d’éperdu («Es-tu avec moi dans mon âme ?»), de comique («Fais l’amour à mes petits pieds»), de tendre («Je t’aurais essuyé avec mes cheveux»), de poignant («Et malgré tout ça je veux qu’on m’aime») ou de révélateur: «La seule vérité, c’est la mort, et moi je ne veux pas de la mort. Je veux la vie. Alors je mens».

Enfin l’intérêt de ce petit livre elliptique et cinglant, dont les silences s’entendent autant que les mots sous les mots, tient à l’écriture de Calaferte, à la fois acérée et baudelairienne en ses pouvoirs suggestifs et sa gravité métaphysique.

P.F.

Louis Calaferte, La mécanique des femmes, Gallimard, L’Arpenteur, 1992.

 

(Le Passe-Muraille, No 1, Avril 1992)

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