Le Passe Muraille

D’autres illusions perdues

À propos de Vie de Samuel Belet, indéniable chef-d’œuvre de C.F. Ramuz,

par Pascal Ferret

 

Charles Ferdinand Ramuz avait 35 ans lorsqu’il publia cette Vie de Samuel Belet, en 1913, peu après Aimé Pache peintre vaudois (1911). Depuis Aline, premier joyau et sombre merveille (1905), le jeune écrivain n’avait cessé d’affermir son art et d’élargir son spectre d’observation avec le non moins âpre et bouleversant Jean-Luc persécuté, suivi par Les circonstances de la vie, plus citadin et proche de Flaubert. L’expérience parisienne et le retour au pays, avec la décision d’y vivre et d’y inscrire son œuvre, imprègnent Aimé Pache et comptent aussi dans l’entreprise collective fondatrice des Cahiers vaudois, avant la cassure de la guerre. Adieu à beaucoup de personnages (en 1914) marquera la fin de la première période d’expansion du romancier qui évoluera, dès Le règne de l’esprit malin, en 1917, dans le sens d’une quête « verticale », surtout poétique et métaphysique.
Dans cette Vie de Samuel Belet, le jeune Ramuz raconte l’apprentissage de la vie et de la ville (Paris à l’époque de la Commune) d’un jeune orphelin « placé » à 15 ans par son oncle chez un riche paysan dont un employé savoyard lui rend la vie dure. Entre une maîtresse de maison parvenue et un vieux domestique pieux, Samuel découvre la vie et, bientôt, l’amour, non sans tourments. Avec l’aide du « régent » Loup qui le prend en affection, il va tâcher aussi de s’instruire, mais c’est sur le tas, dans le tumulte de la vie qui le « mène » d’une épreuve à l’autre, jusqu’à Paris où il découvre les idées révolutionnaires, et dont il revient mûri, que Samuel Belet se trouvera lui-même.
Dans la filiation réaliste de Balzac et Zola, mais très imbibé de fatalisme protestant, à l’enseigne du « tout est vanité » de l’Ecclésiaste, Vie de Samuel Belet nous touche toujours par la vibrante et profonde humanité de ses personnages et par l’intensité déchirante de certaines scènes (le suicide des jeunes amants, la mort de l’enfant, etc.) autant que par la poésie panthéiste qui ne cesse d’irradier le roman.
C.F. Ramuz. Vie de Samuel Belet. Gallimard, coll. L’Imaginaire.

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