Le Passe Muraille

Dans le sillage du paladin

 

En dialogue vivifiant avec Pierre-Olivier Walzer,

par Livia Mattei

«Je ne puis vous dire à quel point j’apprécie votre activité angélique» lui écrivait Charles-Albert Cingria en 1945, et le recul sur toute une vie donne aujourd’hui, à l’expression joliment hyperbolique, comme un sceau de validité définitive.

Oui, Pierre-Olivier Walzer fut et continue d’être ce bon ange des lettres romandes, ou plus précisément ce messager et ce passeur qui n’aura cessé, pendant plus d’un demi-siècle, de servir la littérature au lieu de s’en servir. Il la servit en étudiant scrupuleux et en lecteur fervent, en thésard mariant avec Toulet la Science et la Fantaisie, en éditeur érigeant en pleine guerre (avec Jean Cuttat et Roger Schaffter) les prestigieuses Portes de France, puis en professeur et en chroniqueur littéraire (bien longtemps au Journal de Genève, qui l’a si mal remercié), en anthologiste du trésor jurassien, en découvreur de Werner Renfer, en animateur de mille bonnes causes visant soit la défense et l’illustration de tel grand écrivain disparu (Cingria le premier, puis Cendrars, ou Laforgue, notamment), soit à épauler tel auteur vivant de ce pays, et ils furent légion.

«Vous avez été si fin et tellement extraordinaire dans le dévouement dont vous avez fait preuve qu’il faut lui laisser dans le mérite toute sa splendeur», écrivait encore Cingria à son jeune éditeur, peu après la parution de Florides helvètes, en 1944, dans la collection de l’Oiselier à l’enseigne des Portes de France. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Fribourg durant la guerre, dans ce «refuge» européen où Walzer suivait parfois les cours de Gonzague de Reynold et en donnait lui-même à des internés polonais, rencontrait Georges Cattaui et d’éminents ecclésiasti-ques, Pierre Jean Jouve ou Georges Borgeaud. Le jeune lettré vécut dans la même maison que Charles-Albert Cingria, telle que celui-ci l’évoque dans Musiques de Fribourg, «penchée vers le précipice au fond duquel roule la Sarine» et dont toutes les portes «se ferment d’elles-mêmes à moins que vous ne les assuriez par un poids»…

Tout cela, et tant d’autres choses liées à son parcours d’«homme au bâton», à ses travaux critiques les plus magistraux (pour la Pléiade, ou à la gloire de Valéry et de Mallarmé), comme à ses livres plus «personnels», dont la savoureuse Vie des saints du Jura, Pierre-Olivier Walzer le raconte dans un recueil d’entretiens qui s’achève par une véritable profession de foi sur l’époque.

Auparavant, un Grand Questionnaire, à la manière de Charles-Albert Cingria, de Marcel Proust et des saints du Jura, nous introduit familièrement (et avec de beaux développements sur la montagne et la mer, la musique ou les impénétrables fins dernières), dans le récit de cette vie et nous fait mieux approcher l’homme en sa complexion d’humaniste «régulier», soumis à la règle de la discipline et de l’honnêteté. On y verra de surcroît, et à tout moment, l’humour et certain goût potache pour la facétie émailler cette solide couche de fond, constituant la manière et le style de Pierre-Olivier Walzer.

L. M.

Pierre-Olivier Walzer, Le Paladin des Lettres, entretiens avec Jean-Louis Kuffer, la Bibliothèque des Arts, collection Paroles Vives, 1999.

(Le Passe-Muraille, No 41, Mai 1999)

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