Le Passe Muraille

Dangereuses liaisons

À propos d’Efina, deuxième roman de Noëlle Revaz,

par René Zahnd

Flaubert avait pour ambition d’écrire un livre qui ne tiendrait que par la force de son style. Plus concret, Ramuz rêvait de travailler la langue au point de lui faire rendre gorge. Sans vouloir écraser Noëlle Revaz par des références massues, et sa modestie dût-elle s’en affoler, on se plaît à relever dans son deuxième – et excellent! – roman des traces de visées semblables, même si elles ne sont pas formulées avec le tranchant propre aux deux ancêtres illustres, et même si, indéniablement, ce livre est l’œuvre d’une femme de XXIesiècle.

Sans craindre l’inconnu, elle y explore les méandres du sentiment amoureux, fleuve qui peut être tortueux avec ses zones de remous, de tourbillons, de rapides même, ou encore d’eaux dormantes et de flots calmes. Déjà Rapport aux bêtes,puissant d’une éclatante singularité, fouillait les relations entre un homme et une femme, le premier traitant grosso modo la seconde comme un animal.

Ici, le personnage féminin est infiniment plus présent, au point d’ailleurs de donner son titre à l’ouvrage.Efina va au théâtre. Somme toute, on n’en sait guère plus sur son compte, sinon qu’elle aime les hommes ou l’amour que les hommes lui donnent, et aussi qu’elle aime les chiens, en les affublant toujours du même nom, ou tout au moins l’amour que les chiens lui donnent.

De son côté, le dénommé T. est un acteur fameux, dont la carrière oscille entre périodes de gloire et crises de doute, entre humiliant chômage et succès retentissants. Comme chez tous les membres de sa corporation, la frontière entre les moments où il joue et les moments où il ne joue pas est pour le moins floue. Peut-être parce que sa façon d’être, c’est de jouer. Cette représentation permanente lui permet de masquer ses fêlures. Il a aussi une certaine propension à la clochardisation, comme si un banc était le seul port d’attache possible dans la débâcle de sa vie personnelle.

Entre ces deux s’établit à travers les années une relation où les lettres écrites, mais pas toujours envoyées, jouent un rôle capital. Ils ne se voient pas souvent, se parlent rarement, mais semblent penser sans cesse l’un à l’autre. Cette pratique épistolaire suscite nombre de malentendus et de mauvaises interprétations. Ecrire, c’est aussi trahir. Entre rejets et attirances, ils se ba-lancent donc quantité de déclarations faussement définitives et de vacheries vraiment roboratives.

Dans ce texte rôde le fantôme des grands romans épistolaires à la Choderlos de Laclos. Mais il porte le sceau de notre époque. Il ne s’agit pas de libertinage, plutôt d’une sorte de liberté dans les choix, qui envoie les deux personnages dans les bras de nombreux partenaires, avec l’espoir, peut-être même plus avoué, de dénicher le grand amour. Au-delà des foucades et des flirts, au-delà même des mariages et des serments «pour la vie», le lien qui les soude l’un à l’autre ne tient pas de l’amitié, ni même de l’amour au sens conventionnel. Il y a là quelque chose de plus souterrain, de plus inavoué, de plus inquiétant. Le fait que le roman ait, en partie, le théâtre pour cadre n’est pas innocent. Les reflets entre la réalité et le jeu sont sans fin. Et tout cela se résoudra dans une mort éminemment spectaculaire. Mais peut-être ne meurt-on pas vraiment, sur scène comme ailleurs, et c’est avec la quasi certitude de voir T. se relever qu’un acteur de ses amis, avec Efina pour partenaire improvisée, donne une ultime représentation devant l’urne qui contient les cendres du défunt.

Dans le fond, il ne se passe pas grand-chose dans ce livre. Mais on est comme suspendu aux phrases, impatient de la suivante, happé par le flux de la langue, envoûté par son rythme, avec au passage des sourires lorsqu’on tombe par exemple sur: «les sentiments comme les moules prennent pied sur les socles les plus ha-sardeux», car l’humour baigne ces pages.

R. Z.

Noëlle Revaz, Efina,Gallimard, 2009.

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