Le Passe Muraille

Cinéma sans scope

À propos des désastres récents

du cinéma américain que nous aimons…

par Philippe Banquet

Parfois les titres ne mentent pas : le brutaliste est brutal, Megalopolis est mégalomane. Les deux sont ratés, mais l’un a des excuses et l’autre pas. J’ajouterais même que ces deux intitulés interagissent : Le dernier cité est une chute brutale, le premier un méga flop prétentieux. D’autres points communs ? Les deux sont (beaucoup) trop longs, laids, mal joués et d’un stupéfiant nombrilisme. Faut-il que j’en rajoute ou l’assaisonnement vous suffit-il ?

 

 

Attention, je dois aussitôt faire un distinguo : Francis Ford Coppola est un vrai cinéaste, un génie fou amoureux de son art. Il a tout sacrifié pour réaliser ce qu’il voulait mettre au monde, un monstre, oui, mais un monstre d’amour et de sincérité. D’où vient qu’il ait échoué ? Je ne saurais dire, l’âge du capitaine, peut-être, ou la fin d’une époque qui l’a conduit vers un naufrage inévitable. Le navire gigantesque s’est fracassé sur l’iceberg qui bouchait l’horizon, malgré toute la science, le talent et la passion du seul maître à bord. Alors respect, je salue l’artiste déchu, il n’a pas démérité.

Pour la brute sans bon ni truand, c’est une toute autre affaire. Le faiseur, Brady Corbet, a tramé soigneusement son forfait. Faussaire, tout sonne faux dans son opus, et cette disharmonie est délibérée. La chasse aux Oscars nécessite depuis quelques années l’utilisation d’appeaux criards de nature à vriller l’oreille et le regard du spectateur, dans l’unique but de renforcer l’ego des critiques et du petit cercle des connaisseurs – c’est-à-dire de ceux qui se connaissent.

 

Évidemment ça ne pouvait pas durer, chacun vieillit, les talents finissent par s’éroder, s’ensevelissent sous les rides, les yeux se voilent, l’esprit critique s’étiole et protège de moins en moins contre les flagorneurs et les parasites, l’innovation se tarit peu à peu. Mes maîtres, les uns après les autres, se sclérosent ou renoncent. Leurs ultimes feux dégagent plus de fumées que d’étincelles et les lumières de leurs plagiaires ne sont qu’artifice. Pour un Spielberg qui nous illumine encore de ses Fabelmans, que de désenchantement avec les productions bâclées ou auto-pastichées des Scorsese, Lucas et autres. Le grand cinéma américain d’autrefois se meurt, et peut-être n’est-ce que naturel, tout a une fin en ce bas monde, comme disait ma grand-mère – plus fine cuisinière que philosophe.

D’accord, d’accord, la vieille garde prend sa retraite, c’est dans l’ordre, mais où est la relève ?

Le créneau « cinéma américain grand public de qualité » ne pouvait rester abandonné longtemps, ou alors à quoi bon tous ces pros du marketing allant de réunion en brainstorming à la poursuite du projet qui explosera les objectifs et les propulsera au firmament du paradis (fiscal bien sûr) ? Il fallait bien se singulariser un tant soit peu, se la jouer intello – trop de super héros tue le super-bénef – et puis quoi, il doit bien exister une frange de la population dépassant les quinze ans d’âge physique ou mental, avec dans les poches de quoi s’offrir des sujets de discussion autres que la dernière série ou les méfaits de Trump/Poutine/Netanyahou (rayez les mentions inutiles), et quel coup de polish sur l’image de marque des studios, toujours utile le vernis culturel pour limiter la tentation des taxes et booster les ventes à l’étranger avec une Palme ou un Ours en métal brillant.

Alors, en avant, sortons les budgets mirobolants et faisons ronfler de nouveaux noms, remontons l’ego des stars avec des rôles à décrocher des médailles, on va voir ce qu’on va voir. Les lauriers vont pleuvoir, la presse célèbrera, les réseaux woke vont s’activer, la bonne conscience montera en pression et tout le beau monde se sentira mieux de retrouver du sens et de l’esthétique au service du Bien.

Quoi, j’exagère ? Vous voulez des exemples, de ces pseudo-œuvres supposées redonner à Hollywood son lustre d’antan ?

Commençons par balayer devant chez nous : The Artist, film franco-américain, réalisé (si j’ose dire) par un Français, financé en bonne partie et promu par l’affreux Weinstein. Les critères ont été soigneusement étalonnés par son écurie : un film muet, en noir et blanc, supposé rendre hommage aux génies des origines. Tout est bidon, sonne creux, toc et tics, même le chien cabotine ; je n’ose pas citer l’acteur principal avec ses trois mimiques supposées couvrir l’ensemble des émotions humaines. Mais comme le cahier des charges a été respecté, la récolte suit : cinq oscars. CQFD.

Autre exemple : La La Land, pseudo comédie musicale sans rythme ni élan, mal jouée et surtout mal dansée. Gene Kelly a dû en pleurer sur l’épaule de Fred Astaire, les deux faisant rempart de leur corps pour empêcher Ginger Rogers et Cyd Charisse de voir les images consterner l’écran.

Et le summum, The Brutalist. Cette fois, ils ont mis le paquet pour boucler l’affaire : trois heures trente en deux fois, avec un entr’acte minuté par un compte à rebours impitoyable – si vous ne regagnez pas vos places, nous faisons sauter la salle. Scénario dégoulinant de sinistrose, le rêve américain virant au cauchemar, succession de désillusions moroses avec un personnage principal lugubre, incarné comme l’ongle du même nom par un Adrien Brody mono-expression, tellement obsédé par la course à la statuette qu’il se fige du début à la fin dans la silhouette morne d’un fantôme peint par Munch. Comme pour mériter son titre, le film turbine du gris uniforme tout au long de son interminable scénario, mur des lamentations sans espoir de rémission, avec comme seuls interludes deux ridicules diaporamas, Carrare et son marbre, Venise et ses canaux sur fond de coucher de soleil, le tout épicé d’un ignoble break de violence sexuelle avinée. Comme prévu, le film rafle trois oscars, dont le meilleur acteur pour qui vous savez, j’en aurais pleuré si je n’avais été vacciné par les six de Bla Bla Land. Misère.

Nous autres cinéphiles ne pouvons que ressasser nos souvenirs, du temps où les producteurs osaient miser sur de vrais cinéastes, de Hawks à Scorsese, en passant par Huston, Ford ou Capra. Des films mainstream, certes, mais d’authentiques chefs d’œuvre. Pleurons, donc, ou révoltons-nous contre les succédanés que l’on essaye de nous faire ingurgiter ; regrettons la fougue passée de nos chers dinosaures tout en pardonnant leurs dernières tentatives; mais, surtout, soutenons les irréductibles, ceux qui, avec ou sans Hollywood, continuent de nous éblouir de leur talent et de leur indépendance, sous la bannière de l’incomparable Jarmusch, du déjanté Malick ou du prodige Inarritu. Grâce à eux, le cinéma américain peut poursuivre sa route pour nous conduire au-delà des portes du Paradis.

PH. B.

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