Le Passe Muraille

Ces petites images admirables

Fragments du roman d’une vie,

par François Beuchat

 

Vieille familiarité, et légende de l’oubli J’ai vu trois pattes de chat dans la fenêtre bleue, certains hommes, certaines femmes commençaient leur repas, la dame assez maligne se promenait dans le square, et des enfants jouaient sur la place de jeux. Une montre, bracelet cuir, une bouteille de vin, le vin noir de nos rêves, dans une bouteille verte. Exquise absolution, petite danse revenue, miroir tout alangui, où sont les pattes de chat ? Un tableau de Caillebotte me montrait une maison, Gennevilliers des Hauts-de-Seine, chacun doit mourir quelque part. Proust vécut, boulevard Haussmann, Gide était à Auteuil, et l’autre dame assez maligne, sa promenade dans le square. Promenade qui tournait en rond, comme les pensées du solitaire, le chat était une illusion, pourtant il y avait la fenêtre bleue. Petite fiancée du Temps perdu, tu as vieilli comme les autres, le vent du large s’est levé, où sont donc les pattes de chat ? La musique littéraire mène la danse dans son coin, nous partions sans partir, et mourions sans mourir. Le bleu de l’artiste penché sur le bleu, ce bleu qui devient son propre bleu, ce bleu qui peut devenir le bleu de tous. L’homme assis ne regardait que les boucles d’oreilles, cercles de fil de fer, de la femme au pull vert qui levait le pouce et l’index de la main droite. La mer se reposait des fadgues ancestrales, en inondant le sable de nos jours secs et jaunes. J’ai vu trois pattes de chat dans la fenêtre bleue, la femme assez maligne, sa promenade dans le square. Promenade qui tournait en rond. Vieille familiarité, et légende de l’oubli.

(Claude Verlinde)

Manuscrit et manuscrits

Manuscrit du cheval fâché avec son maitre, maître queux à la tête de rat, manuscrit de l’enfant qui marche dans la neige, manuscrit des traîneaux et des clochettes, manuscrit de la faiblesse et de la maladie, manuscrit du regard lent et doux, manuscrit de la porte fermée, de quelques volets bruns. Manuscrit de l’escalier enneigé, de la chambre vleue où la lumière du jour est presque noire. Manuscrit des glaçons qui sont semblables à certaines menaces, manuscrit du chef-d’oeuvre rêvé, de la table où sont quelques papiers, de la chaise sobre et rustique. Manuscrit de l’envol de la pensée, de la neige accablante ou salvatrice. Manuscrit des silhouettes emmitouflées, manuscrit du devoir qui précède la mort. Manuscrit de la folle joie secrète, après les amertumes répétées. Manuscrit de la folie bleue, de la nuit qui s’approche, manuscrit du chien et du loup, manuscrit entre chien et loup, manuscrit. Et l’accablement avait quelque chose de magnifique,il était comme une promesse de beauté. Manuscrit des Temps gris, des Temps bleus, des Temps saturnien et neigeux. Mais, presque toujours, manuscrit du cheval fâché avec son maitre. Manuscrit entre chien et loup.

Ils attendent sur les gradins

Voici la bulle de la cité, ils attendent sur les gradins, les hiboux de ce conte ancien. Il y a les rêves mauves ou dorés, de drôles d’espérances troublées, un pastis d’un jour de juin, et la même poussière d’un boulevard. Toutes les peines tombent sur les pavés, ou ont un sursis dans les feuilles des arbres, petit éclat d’une espérance, rigueur de tout cerveau blessé. C’était un juillet nuageux, une Laotienne servait au bar, elle ferma boutique et partit avec sa soeur, une fleur d’orgueil entre les dents. Tout se perdit dans la poussière, même dans les feuilles clairsemées, dernières lueurs sur le boulevard, main coupée. Voici la bulle de la cité, ils attendent sur les gradins, les hiboux de ce conte ancien.

Alors l’étrange vent

Je ne me suis penché sur les calendriers de la vie que pour mieux leur échapper, la fuite était jolie, la fuite était dangereuse, champignons des sous-bois, sorcières sur leur balai, doux fantômes persistants, querelles répétées. Alors
l’étrange vent, on l’attendait toujours, la casquette sur la tête, et la main dans le vent. On respirait un peu, oui, juste ce qu’il fallait, pour une assise belle, et bellement légère. Alors un courant gris, alors un courant bleu, air qui redonne substance, alors l’étrange vent ».

Ces petites images admirables

Ce sont de petites images qui nous aidèrent à supporter la vie, on les avait quelquefois devant les yeux, d’autres fois seulement dans le coeur et l’imagination. Elles étaient modestes, discrètes et fugitives, elles allaient et venaient, elles étaient si proches de notre âme qu’elles se confondaient quasiment avec elle. Beauté prodigieuse de ces petites images. Etrange fidélité de ces petites images. On ne fait rien de mieux. La nuit, surtout, ces petites images surgissent avec une surprenante présence, et elles sont pour nous comme une chaleur infinie. On ne fait rien de mieux. Elles sont aussi les clés des songes, ces petites images admirables. On ne fait rien de mieux.

F.B.

(Ces textes inédits sont extraits d’un livre en chantier.)

(Le Passe-Muraille, No 88, Avril 2012)

 

 

 

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