Le Passe Muraille

Bestiaire onirique

Proses inédites de JLK

Mademoiselle Papillon

Je suis juché sur sa croupe et nous nous faisons tout le Val Sauvage en lentes glissades de couches en couches d’air, puis nous remontons par les courants ascendants.

C’est une extraordinaire griserie, qui ne m’empêche pas de prendre conscience d’un phénomène étrange, peut-être illusoire mais combien troublant.

De fait, il me semble vieillir à la descente et rajeunir quand Mademoiselle recommence à brasser de l’air.

— Accroche-toi, me lance-t-elle au moment de virer au-des-sus de Berg am See, dont on voit les parasols et les pédalos mille mètres plus bas, et cet aperçu balnéaire me revigore, je me sens des cuisses de jeune athlète et Mademoiselle en est elle aussi tout excitée.

A la montée, c’est une jouissance accrue que de la sentir rajeunir à son tour. Son abdomen a la fermeté du torse des nageuses soviétiques des années soixante et l’air devient plus tonique à l’approche des glaciers tandis que je la pénètre je ne sais trop comment.

 

Ondine

Pendant qu’il est en Chine elle est tentée de se taper tous les gars du village, mais elle n’en fait rien: elle préfère se balader seule dans les bois et se rappeler son odeur de poisson, en attendant la nuit et le rêve.

C’est par le rêve qu’elle a compris que Nemrod était un poisson. Elle reposait dans la vase, elle ouvrait la bouche, il entrait en elle et ressortait les yeux grand ouverts; il avait le ventre lisse et jouait à l’enveloper de ses nageoires couleur de lune ou de prune.

Ce qui la trouble le plus, dans le rêve, c’est qu’il ne la prend jamais avant de lui avoir enfilé un lingam de jade sur lequel ses dents d’en bas se brisent, ensuite de quoi le poisson remonte dans le sang. Son amie Nulle, dont l’ami est casserolier à l’Auberge du Cerf, lui dit qu’elle est tellement grave qu’elle devrait demander une assistance psy. Quand elle pense aux Chi-noises elle se sent toute petite. Elle sait que là-bas les loutres ont encore le nombre pour elles.

Les sirènes

L’avantage avec notre queue c’est que nous restons vierges. Cela facilite la concentration dans les travaux typiquement féminins. Contrairement à ce qu’il en est des humaines, c’est durant notre jeunesse que nous connaissons la mélancolie, ensuite de quoi nous devenons philosophes.

A l’asile, le long de la route poudreuse de fin juillet, nous restons sur les margelles de la fontaine et battons ainsi la mesure en tâchant d’attirer l’attention des faneurs demi-nus.

Les faneurs demi-nus ne sont pas indifférents à la battue des vieilles sirènes des établissements médico-sociaux.

Tout en attendant quelque bonne fortune, nous nous racontons nos rêves en cherchant un peu de fraîcheur sous les saules.

L’une d’entre nous prétend qu’elle a passé la moitié de sa vie dans un bassin d’acclimatation de l’arrière-pays de Biarritz. Nous l’avons d’abord prise pour une affabulatrice, puis elle nous a fait une imitation de la langue basque qui nous a fait pouffer comme au bon vieux temps.

JLK

(Le Passe-Muraille Nos 47-48, Juillet 2000)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *