Le Passe Muraille

Aragon revisité

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Un essai de Daniel Bougnoux (censuré !) et un nouveau volume de La Pléiade ravivent la mémoire du grand écrivain controversé.

Par Pascal Ferret

Louis Aragon (1897-1982) fut le plus adulé et le plus conspué des poètes français du XXe siècle, tantôt taxé de magicien du verbe et de chantre de l’amour, tantôt de propagandiste du totalitarisme et de délateur. En 1984 parut un pamphlet d’une virulence extrême, intitulé Un nouveau cadavre Aragonet signé Paul Morelle. L’ouvrage, méchamment injuste dans ses jugements littéraires (la poésie y étant notamment réduite à zéro), entendait faire pièce aux génuflexions convenues qui avaient salué la mort de l’écrivain.

Or voici paraître un nouvel essai, beaucoup plus nuancé, tant dans son approche de l’oeuvre qu’à l’évocation d’une personnalité complexe voire tortueuse, et qui a pourtant été tronqué d’un chapitre entier ! L’auteur, Daniel Bougnoux, est un connaisseur avéré de l’oeuvre d’Aragon, dont il a dirigé l’édition dans la Pléiade. Seulement voilà: au titre du « mélange des genres », il y évoquait un épisode digne de la cage aux folles, où le vieil homme se la jouait Drag Queen. C’était compter sans la vigilance du gardien du temple. Ainsi Jean Ristat, exécuteur testamentaire d’Aragon, imposa-t-il le caviardage de ce chapitre « privé » aux éditions Gallimard.

Au demeurant, l’homosexualité affichée du « fou d’Elsa », après la mort de celle-ci, aura toujours été une composante de la personnalité d’Aragon, du moins à en croire Daniel Bougnoux qui compare ses relations avec André Breton à celles qui unirent-opposèrent Verlaine et Rimbaud. Plus exactement, Breton aurait joué le mentor viril du jeune Aragon, charmeur de génie ruant ensuite dans les brancards pour s’affirmer « contre » son ami.

Ces composantes personnelles – même importantes en cela qu’elles éclairent les positions du poète par rapport au « père » symbolique que serait pour lui le Parti, autant que sa relation de couple avec Elsa – ne sont pourtant qu’un des aspects de l’approche détaillée de l’oeuvre ressaisie ici dans sa progression. Le travail de l’écrivain – titanesque et tenant parfois de la graphomanie compulsive -, la façon du romancier-poète de tout transformer en roman afin d’exorciser ses failles (Aragon fut souvent des plus sévères avec lui-même), et ses rapports avec la terrible histoire du XXe siècle nous le rendent aujourd’hui plus proche, infiniment, que lors de sa dernière apparition télévisée sous son masque de « menteur vrai »…

Daniel Bougnoux. Aragon, la confusion des genres.Gallimard, coll. L’un et l’autre, 202p.

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Louis Aragon. Oeuvres romanesques V. La Pléiade, 1537p.

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