Le murmure de la mer
En relisant Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway
par Antonin Moeri
Que se passait-il lorsque, sur les conseils de feu mon père, je découvrais Le vieil Homme et la mer que j’ai souvent relu au cours de mon existence, que j’ai étudié avec application quand l’Université de Salamanque m’invita pour évoquer les voix narratives devant des étudiants qui n’avaient rien de blancs-becs procéduriers ?
Que sepasse-t-il lorsque je relis ce livre avec délectation en compagnie de mon fils qui prépare un exposé sur le sujet ?
Le front s’alourdit. Je ferme les yeux. Oui, que se passe-t-il et que se passera-t-il lorsque, au terme dupériple, je relirai une dernière fois le plus beau récitd’Ernest Hemingway ?
J’avais attiré l’attention des étudiants espagnols sur le manque, l’absence. C’est en effet l’absence du petit Manolin qui amène le vieux Santiago à la parole, qui lui permet de donner une voix à ses pensées. Alors seulement, il pose des questions à une méduse, à un aigle de mer, à sa main blessée, à Dieu et, surtout, à un petit oiseau épuisé venu seposer sur le bord de la barque.
Dans l’évocation de cette fauvette résonne une voix qui, mêlée au culte de la force, du courage et de la virilité cher à l’auteur américain, offre une dimension épico-fransiscaine à cette aventure maritime.
Les questions que pose mon fils sont précises. Où se passe l’histoire ? Combien de temps dure-t-elle? Quel âge a Manolin ? Je lui montre le mot La Havane. Il apprend que c’est la capitale de Cuba. Je lui demande de retrouver les indicateurs temporels ou de relire attentivement tel passage. Il trouve la chose relativement intéressante, mais il se demande surtout si ses copains l’écouteront.
La victoire dans la défaite, ce n’est plus tellement porteur comme thème. Et si les mauvaises routes en débris de coraux ou les plages encombrées de boîtes de conserves existent encore, les industriels du tourisme veillent au grain.
Lorsque la maladie aura peu à peu raison de ma carcasse, je voudrai une dernière fois retrouver la plage cubaine, revoir la cabane en écorces de palmier, écouter les phrases que Manolin adresse à El Campeon, somnoler avec ce dernier, le poignet scié par le gros fil qui retient le monstre, me battre contre les requins dévastateurs, m’étendre sur la terre battue et m’endormir à plat ventre, « les bras en croix, les paumes tournées vers le ciel ».
C’est peut-être la seule chose que je regretterai quand la lampe s’éteindra : ne plus entendre dans les mots lemurmure de la mer.