Le Passe Muraille

Alexandrie à corps perdu

 

À propos du Blues d’Alexandrie d’Asa Lanova 

par Pierre-Yves Lador

L’auteure nous avait habitués à une superbe violence ovarienne et nous surprend ici par un art maîtrisé tout de suggestion, de fraîcheur et de maturité où les parfums, les couleurs et les sons se répondent…

En quittant la France, la narratrice nous fait abandonner le monde onusien dans lequel nous croyons vivre pour pénétrer dans un monde onirique et vénusien (donc plus réaliste), méditerranéen, où les mantes religieuses dévorent les feuilles de datura, où les chiens errants parcourent les plages entre les cauris et les vents étésiens. Tout se passe dans une espèce de désert peuplé d’habitants étranges, exilés souvent, réfugiés, parmi les chants étourdissants ou déchirants des rossignols, les peignoirs et savates défraîchis.

La narratrice, une bibliothécaire peut-être, à la suite d’une rupture douloureuse (elle s’est fait jeter par son dernier éternel amour) vient à Alexandrie pour y poursuivre une recherche qui devient une quête: trouver un document du Ve siècle concernant la mort atroce d’Hypatie. Et à travers la peinture très colorée et parfumée de cette ville au destin cosmopolite et contrasté, on vit entre ce début de l’ère chrétienne, les colonisations variées (anglaise, française, ottomane, grecque), et un présent de folle déchéance, chez une ancienne patronne de bordel ou un décorateur homosexuel qui fut amoureux d’une femme extraordinaire. Car tout est placé sous le signe de l’amour et jamais on ne vit peinture plus sensible des vieil-lards fous d’amour. Et l’ivresse due à l’enchantement de ce monde, à l’imaginaire et sans doute à l’alcool remplace avantageusement le Viagra !

Curieusement (et heureusement) on y a omis le monde de l’Egypte antique, je veux dire pharaonique. Mais on plonge dans les hôtels internationaux, les couvents coptes, les quartiers populaires, on essaie d’éviter bureaucratie et police, mais fréquente les complots, les groupes ésotériques en quête du Vol de l’Aigle puis enfin on plonge dans les arcanes: les annales akashiques, grâce à une espèce de médium. L’ascèse du début associée au dépaysement et sans doute à l’immersion dans la mer permet à la narratrice d’avoir des visions d’Hypatie et de raconter cette destinée qui semble lui être proche (quête de la connaissance) mais qui va se révéler au fil du roman après maintes hésitations comme contrapuntique: si Hypatie vouée à la science voulait rester vierge et fut violée, la narratrice, temporairement en quête de connaissance, choisit, comme son destin l’y inclinait, de revenir à l’amour.
Cette sororité retrouvée à travers les siècles sourd de cette terre musulmane, empreinte de fatalité revendiquée.

Dans cet univers de la décadence et de la déchéance, les personnages s’accrochent avec une force incroyable à l’amour et au rêve, aux merveilleuses illusions. Le lieu s’y prête. L’érotisme habituel chez l’auteur se fait plus diffus, plus sensuel, toujours omniprésent, il traluit dans le décor en chaleur, les fruits, les légumes, les plages, les personnages, les gestes, les vêtements, il couve sous le deuil, harcèle insidieusement l’héroïne et finit par la rattraper et la saisir.

La quête ésotérique qui cherche à abolir le temps se double d’une intrigue politico-policière et d’une histoire d’amour… romantisme féminin. L’intégration de ces actions, la cohérence des images, le mystère subtilement distillé, la peinture des caractères, la violence étale et entêtante de l’écriture, une construction sim-ple et solide, en font un excellent roman et le meilleur de l’auteur.

P.-Y. L.

Asa Lanova, Le Blues d’Alexandrie, roman, Bernard Campiche Editeur, 1998, 257 p.

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