Le Passe Muraille

Dernières nouvelles de la nouvelle

 

À propos d’un genre insuffisamment prisé et pratiqué,

par Jean-Paul Pellaton

Si paradoxal que cela paraisse, il aura fallu attendre l’année 1974 pour que soit publiée une étude d’ensemble sur la nouvelle française ! Cette étude est due à M. René Godenne, l’auteur d’une thèse consacrée aux nouvellistes des XVIIe et XVIIIe siècles. Depuis, René Godenne a multiplié les travaux sur la nouvelle, devenant le grand spécialiste du genre, enseignant exclusivement la nouvelle française dans une université parisienne. Entretemps, le précieux ouvrage de 1974 s’est trouvé non seulement épuisé, mais dépassé par l’évolution pour ainsi dire inespérée de la nouvelle contemporaine. C’est ce livre qui vient de reparaître sous un titre plus bref, La Nouvelle, soigneusement mis à jour et enrichi de quelques annexes utiles.

La nouvelle peut se prévaloir d’une histoire séculaire et glorieuse, inaugurée au XVe siècle avec le recueil des Cent nouvelles françaises inspirées par Boccace, continuée aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (Margue-rite de Navarre, Cazotte, Florian, Sade…) et illustrée au XIXe siècle par des auteurs de premier ordre, Gautier, Balzac, Flaubert, Mérimée, Maupassant, Daudet… C’est sans doute ce XIXe siècle qui lui a donné ses vraies lettres de noblesse, tant par la qualité que par la diversité des œuvres. Pour les premiers héritiers du XXe siècle, la nouvelle est avant tout un «récit conté, court, vrai, sérieux», ne mettant en scène qu’un épisode et «dont le sujet tend à être le plus singulier qui soit.»

Conçue de cette manière, la nouvelle avait encore de beaux jours devant elle et nombreux ont été les auteurs contemporains qui ont pratiqué ce que René Godenne appelle la «nouvelle-histoire». Là, les choses sont simples et parfaitement explicites, aucune surprise ne déroute le lecteur chez un Daniel Boulanger, un Marcel Aymé ou un Jacques Perret.

Mais d’autres espèces de nouvelles vont voir le jour et d’abord, toujours selon la terminologie critique, la «nouvelle-instant», dans laquelle «il n’y a adhérence qu’à des moments du temps et des moments courts, quelques jours, un jour, une nuit, quelques heures». Il est fort à parier que l’influence des nouvellistes étrangers a été primordiale pour la naissance de la «nouvelle-instant». René Godenne suggère celle de Tchékov et de Katherine Mansfield. On pourrait ajouter celle des Américains, Hemingway en tête. (A propos des étrangers, l’occasion serait belle pour rappeler combien nombreux sont les nouvellistes de toute grande valeur – Borgès, Cortazar, Buzzati, Moravia, Fitzgerald, Carver, Capote, Kafka… –, que nous lisons ceux-là plus volontiers que les nouvellistes français et que, hors de France, la nouvelle jouit de la même considération que le roman).

Autre avatar de la nouvelle au XXe siècle: sa dérive vers une forme poétique et descriptive, totalement privée d’intrigue. M. Godenne la nomme «nouvelle-nouvelle», cite quelques noms dont celui de Jean-Loup Trassard, mais estime peu certaine la longévité de cette nouvelle-là. Le courant des publications semble d’ailleurs lui démontrer que les auteurs reviennent de plus en plus nombreux à la «nouvelle-histoire» traditionnelle, preuve en est, par exemple, le regain de ferveur que connaît aujourd’hui Marcel Aymé, conteur exemplaire.

Les nouvellistes de notre siècle ont essayé divers procédés pour donner à leurs recueils une plus grande unité, à les grouper sous un même thème. Mais, raffinant sur la composition, plusieurs ont créé un type nouveau, le «recueil-ensemble» où les textes «forment un tout cohérent parce que chacun d’eux a une place et un rôle déterminés». Marcel Arland a, plus que d’autres, illustré cette formule.

Jusque là, l’auteur a cantonné son historique dans les limites de la France. Un chapitre final, qui dénote la sympathie de René Godenne pour tous les nouvellistes, démontre que l’étude du genre doit être, pour le XXe siècle en tout cas, celle de la nouvelle langue française, sans considération de frontières. On apprend que d’excellents recueils ont paru dans la francophonie, que chaque pays semble avoir sa spécificité, le fantastique pour la Belgique, le quotidien pour le Québec et l’Afrique, le psychologique pour la Suisse romande où deux véritables maîtres de la nouvelle se sont imposés, Ramuz et Corinna Bille: 11 recueils sont dûs à cette dernière. Et quelques écrivains de chez nous ont l’honneur d’être mentionnés à leur suite: Jacques Chessex, Alexandre Voisard, Anne-Lise Grobéty, Christophe Gallaz. Nous n’aurons pas été oubliés…

J.-P. P.

René Godenne, La Nouvelle, Paris, Honoré Champion, 1995.

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