Le Passe Muraille

Le dernier brûlot de Meienberg

Hommage posthume au fameux reporter-polémiste alémanique,

par Yvette Z’Graggen

Né en 1940, Nicolas Meienberg s’est suicidé en septembre 1993 au moment où Le Feu aux poudres sortait de presse en allemand. Depuis lors, ses coups de gueule, ses prises de position, sa dénonciation des mensonges, des magouilles, des manipulations, sa façon courageuse de faire face aux questions angoissantes que nous pose le monde, tout cela nous manque cruellement. Le flambeau sera-t-il un jour repris par un autre écrivain-reporter ? On peut l’espérer sans y croire tout à fait.

En effet, certains chapitres du Feu aux poudres montrent à quel point la voie qu’il avait choisie était difficile, semée d’embûches, voire de dangers, et quelle solitude elle engendrait. Tout au long de sa vie professionnelle, entre Zurich et Paris, Meienberg s’est fait d’innombrables ennemis, lâches adversaires anonymes qui le harcelaient même la nuit. Ceux qu’il défendait contre l’injustice, l’arbitraire, le mépris, se manifestaient peut-être moins que ses détracteurs, ne lui témoignaient pas toujours la sympathie et la reconnaissance qu’il méritait. On peut imaginer l’amertume de Meienberg, le 11 septembre 1992, lorsqu’il reconnut en ses deux agresseurs de la Schaffhauser-strasse, une rue paisible de Zurich, des étrangers au teint foncé, probablement des Nord-Africains – ceux-là précisément en faveur de qui il s’était toujours engagé. Est-ce de cela qu’il ne s’est pas remis ? D’une autre blessure personnelle ? Ou n’a-t-il pas supporté de voir l’état du monde se détériorer de plus en plus ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il nous a laissés très démunis. On s’en rend mieux compte encore après avoir lu Le Feu aux poudres, ce dernier cri de révolte contre la malhonnêteté, le conformisme, l’esprit moutonnier, la bêtise.

De quoi parle-t-il dans ce livre ? De ce qu’il a observé en Suisse et ailleurs de 1989 à 1993. De sujets graves, comme l’indécent «défilé de la victoire» à Washington après la Guerre du Golfe; la désinformation «monumentale» qui, pendant cette même guerre, a été celle de tout l’Occident (y compris la Suisse); l’escalade de la peur en Algérie; le délire ethnique au Karabakh; l’héroïsme des intellectuels et de la population de Sarajevo. Ces thèmes voisinent avec des réflexions sur des faits de société: l’envahissement de Paris par les crottes des toutous bien-aimés, l’invraisemblable séminaire organisé dans un grand hôtel suisse pour des cadres d’entreprises stressés ou frustrés – ce qui nous vaut des pages désopilantes – ou encore la désolation excessive qui a suivi l’incendie du fameux pont de bois de Lucerne. Comme en contrepoint, il y a aussi ce chapitre plein de tendresse et d’émotion où Meienberg évoque le souvenir de sa mère et qui révèle un autre aspect de sa nature, qu’il cachait le plus souvent avec pudeur.

Tendresse, humour, lucidité, férocité, on retrouve tout cela dans ces derniers textes, dont l’auteur, hélas, ne pourra pas lire l’excellente traduction française d’Ursula Gaillard.

Yvette Z’Graggen

Nicolas Meienberg, Le Feu aux poudres, traduit de l’allemand par Ursula Gaillard, Editions Zoé, 196 p.

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