Le Passe Muraille

Grâce soit rendue à l’artiste

Entretien avec Metin Arditi,

par JLK

Autant par sa trajectoire personnelle d’homme d’affaires que par son travail d’écrivain, Metin Arditi est un homme intéressant. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, dans « son » palace genevois du bord du Rhône, il venait de créer, avec l’ambassadeur de Palestine à l’Unesco, Elias Sanbar, une fondation pour aider les Palestiniens de Cisjordanie et les Israéliens pauvres à étudier la musique avec de bons professeurs et des instruments dignes de leur travail. La ville de Genève, le Conservatoire et l’Orchestre de la Suisse roman- de, dont il est président de la Fondation, sont partie prenante de cette généreuse entreprise dont il a fourni le capital de base. Or, qui aurait la mesquinerie de relever que le financier multimillionnaire en a les moyens, comme il a eu les moyens de développer une importante activité de mécène à Genève et en Suisse romande ? Et comment ne pas être intéressé immédiatement par la conversation de cet homme aussi cultivé que plein d’humour, dont la qualité d’indépendance et la très vive sensibilité se perçoit dans ses livres, at particulièrement dans Loin des bras ?

– Georges Simenon disait qu’un écrivain avait, à dix-huit ans, fait le plein d’émotions pour une vie. Vous évoquez votre adolescence dans Loin des bras, mais quelle enfance fut la vôtre ?

– J’’ai quitté Constantinople à sept ans pour la Suisse, et le sentiment dominant de mon enfance qui me reste est d’avoir été très tendrement aimé. Jamais je n’ai douté de l’amour de ma mère ni de mon père. Pour ce qui est de celui-ci, je pourrais dire qu’il a appliqué le précepte occidental qui dit de traiter son fils comme un prince jusqu’à sept ans, com- me un esclave dans les années qui suivent et comme un ami à l’âge adulte, ce qui fonctionne si la base de cette attitude est fondée sur l’amour.

– Quel homme était votre père ?

– Il était dans les affaires. C’était un importateur spécialisé dans les domaines technique et scientifique, et ses rapports avec la Suisse étaient solidement établis. D’ascendance juive, comme ma mère, c’était un homme très attaché aux principes et aux idéaux qui a toujours été très présent dans ma vie.

– Quel rôle la lecture a- t-elle joué dans votre vie d’interne « profond », à savoir coupé des siens durant des mois ?

– De fait, la lecture a été l’un de mes meilleurs palliatifs à la solitude, souvent durement ressentie, la lecture et les arts en général. En littérature, ma passion principale a été Maupassant, dont je crois réellement avoir tout lu. Ce qui m’a le plus touché chez lui était son mélange de révolte contre le conformisme bourgeois et de tendresse infinie. Sa lecture ajoutait véritablement à ma vie affective et embellisait ma vie. En outre, j’ai commencé pratiquer la musique vers l’âge de dix ans et le théâtre a beaucoup compté lui aussi tout au long de mon adolescence.

– Cela étant c’est la voie scientifique que vous avez choisie dès votre maturité…

– Oui, les sciences me passionnaient, et j’y excellais aussi bien. Il y avait là ce qui me semblait une grande aventure à vivre, et la physique m’attirait particulièrement, pour sa proximité avec les mathématiques et la philosophie. J’étais aussi attaché à la beauté d’une démonstration qu’à toutes les implications liées à mes études sur le génie atomique, sous la direction de Bernard Vittoz, mon maître spirituel. Côté philosophie, je suis également redevable à mes contacts sui- vis avec la philosophe Jeanne Hersch, qui m’a aidé à réfléchir avec une rare bienveillance.

– Quels sont « vos » philosophes de prédilection ?

– Comme Van Gogh dans son destin de peintre, ce sont des destinées hors du commun plus que des théories ou des systèmes, des penseurs ouverts sur les profondeurs existentiel- les de l’homme, qui nous interrogent sur la complexité du monde ou sur l’éthique, com- me Nietzsche ou Kierkegaard, Jaspers ou Levinas.

– De la physique, vous avez bifurqué vers les affaires via la Business School de Stanford ? Vous rêviez de faire fortune ?

– Ce n’était pas, sincère- ment, ma motivation première. C’est plutôt l’esprit d’entreprise qui m’habitait que le désir de m’enrichir, et l’envie d’appliquer mes connaissances de manière plus concrète. Il se trouve que j’ai réussi, comme on dit, mais en restant l’individualiste incasable que je serai toujours, convaincu par ailleurs que l’artiste est le personnage le plus important de la société.

– Et l’écriture là-dedans ?

– J’y suis revenu, après de premiers essais de jeunesse et le grand détour de ma carrière, avec la même intensité et la même ardeur que j’ai mise dans mes affaires, et je commence à m’y sentir un peu plus confiant en moi, même si je m’estime toujours et encore en apprentissage…

 

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