Le regard qui se révèle
À propos de la vision du photographe,
notamment dans En Orient de Jean-Marc Payot,
par Richard Aeschlimann
J’ai toujours remarqué, tel un fait avéré, que les livres de photographies, et cela est particulièrement vrai pour le dernier recueil de Jean-Marc Payot, En Orient, nous incitent à les feuilleter souvent dès l’acquisition, encore et encore. C’est ainsi que je pourrais dire en parodiant l’adage, montre-moi tes photographies et je te dirai qui tu es. Autrement dit, ce n’est pas le sujet des photographies uniquement qui s’impose à nous, mais également et surtout le regard du photographe qui, à travers ses interrogations, semble créer une nouvelle vision du réel. Une vision qui se matérialise, à l’exemple de l’espace quantique, comme aspirée par le désir profond de l’artiste.
Il faut admettre qu’un appareil de photo mis entre les mains d’un individu, sans que ce dernier se déplace mais tournant sur lui-même à 360°, permet d’obtenir des centaines d’angles différents possibles. J’ajoute à cela qu’à chaque déplacement de quelques centimètres en avant ou en arrière, de même qu’à gauche ou à droite, un nombre égal de ces angles possibles viennent enrichir jusqu’à l’infini, probablement, les visions du réel. Si à ces constatations j’additionne le fait que les sujets observés ne sont pas uniquement des points de vue immobiles, mais au contraire soumis à la temporalité et aux déplacements, le choix devient alors illimité ; un choix du regard qui ne peut dès lors dépendre que de l’aléatoire, du culturel, du politique et cétéra, ou ne devenir que créatif et sensible.
Ce que je veux dire, c’est que dans l’absolu nous sommes le sujet, nous sommes le paysage et tout ce qui existe du fait même que nous sommes la vie. Comme le dit l’Ecclésiaste: «Un âge va, un âge vient, et la terre tient toujours… Personne ne peut dire que les yeux n’ont pas assez vu… Ce qui fut, cela sera; ce qui s’est fait se refera; et il n’y a rien de nouveau sous le soleil».
Que m’importe donc le sujet puisque je suis, nous sommes le sujet, tous les sujets : aujourd’hui moi, toi demain. Ce qui m’intéresse, c’est le moment choisi pour tenter et faire semblant d’immortaliser une seconde de la vie sur terre. Une seconde pour prouver notre existence. Une seconde pour crier notre amour ou notre haine de la vie et de la mort.
Quelle que soit la position du photographe, lorsqu’il s’agit pour le spectateur de visionner non pas une seule de ses photographies mais bien l’ensemble d’un recueil, c’est alors toute la personnalité du photographe qui progressivement s’impose à nous. Nous tous avons connaissance des endroits stratégiques où les touristes, comme les autochtones du reste, appuient sur le déclencheur pour réaliser une photographie forcément réussie ». Nous connaissons tous également les photos à la manière de… Et passent les modes… C’est alors que certains individus, évitant tous les pièges, nous surprennent par leur créativité personnelle et nous enchantent. Ils nous interpellent aussi, nous dérangent parfois, puis nous donnent en partage ces secondes d’éternité volées au quotidien et offertes au bilan du bonheur. C’est exactement cela, n’étant pas photographe moi-même, donc incapable de disserter sur la tech-nique, que j’ai ressenti en tournant les pages, dans un sens et dans l’autre du livre En Orient de Jean-Marc Payot.
R. A.