Le Passe Muraille

Une mélancolie souriante

 

À propos du premier roman de Gilbert Salem, Le miel du lac,

par Jacques-Michel Pittier

Le nom et la silhouette de Gilbert Salem sont familiers à beaucoup de Lausannois dont, au fil du temps et des articles parus dans 24 Heures, il s’est fait un public de lecteurs fidèles. L’acuité de son regard, son attention patiente et fraternelle à ce pays, aux gens qui l’habitent, sa curiosité et son humanité sont l’apanage de ses chroniques. Ce n’est donc pas tout à fait une surprise si son premier roman qui vient de paraître chez Bernard Campiche se déroule pour l’essentiel dans le cadre lémanique qu’il scrute et connaît si bien depuis de nombreuses années. On y retrouve un Gilbert Salem observateur, tantôt lucide, tantôt émerveillé, parfois ironique, mais toujours sensible, paré d’une sorte d’innocence naïve, d’indulgence nostalgique lorsqu’il évoque les paysages ou les êtres qu’il a côtoyés.

Il faut dire que dans Le Miel du Lac, le lecteur se retrouve d’emblée entre ce qu’il peut supposer être un roman au sens strict du terme, et une évocation romanesque à forte connotation autobiographique. Le héros, journaliste lui aussi, porte le même prénom que l’auteur; il partage avec lui des racines orientales, certains traits de caractère sans doute, une gentillesse aussi qui confine presque à la timidité et qu’il définit lui-même comme une «mélancolie lunaire». Ce Gilbert-là nous conte une triple histoire d’amour, qui le ramène souvent au cours du livre à Khorramchahr et à l’Iran, le pays de son enfance, qui l’attache dès son adolescence aux rives du Léman et qui tisse l’essentiel des descriptions, des climats qu’il suscite, qui le lie enfin pour le temps du roman à Marie-Agnès, dite «Louchette», personnage complexe, ambigu, aussi changeant et imprévisible que peut l’être ce lac qui sert de passerelle, de miroir et de décor à leur rencontre.
Il serait vain de chercher ici le fil d’une intrigue acérée. Elle filtre des personnages, davantage qu’elle ne se fait moteur du roman. On est dans un registre impressionniste plus que dans l’univers de la ligne claire, et c’est ce qui fait le charme de ce récit. Les fréquents aller et retour entre le passé de l’enfance – peuplé de figures émouvantes comme celle du serviteur Soleiman, jalonné de failles et de ruptures qui demeurent toujours très pudiques (la mort du père, la froideur de la mère) – et le présent du roman où défilent nombre de personnages tantôt fictifs tantôt bien réels et clairement nommés comme l’écrivain Georges Borgeaud.

Ce mouvement, cette claudication subtile qui rappelle celle de l’Adagio du Concerto en sol de Ravel auquel le Gilbert du roman recourt pour conjurer ses émotions, comme une oscillation grave, si elle n’est pas toujours parfaitement efficace dans le déroulement du texte, ménage des plages descriptives d’une grande beauté lyrique, d’une belle force d’évocation, et révèle pour un premier roman une voix originale, dont la musique douce-amère exerce un réel pouvoir de séduction sur le lecteur.

J.-M. P.

Gilbert Salem, Le Miel du Lac, roman, Bernard Campiche Editeur, 1995, 209 p.

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