Le Passe Muraille

Une beauté silencieuse et secrète

   

À propos de Fabienne Verdier et de L’Unique trait de pinceau,

par Maurice Sierro

Qu’une femme occidentale soit devenue l’une des dernières dépositaires d’un savoir ancestral chinois, voilà un fait pour le moins étonnant. Il suffit pourtant de contempler les extraordinaires peintures de Fabienne Verdier pour s’en convaincre. Chacune témoigne d’un talent rare et d’une lente maturation à l’écoute du maître chinois qui accepta durant dix ans de la former à l’art du trait et de la calligraphie. Pour cette Française, qui décida à 16 ans de sa vocation de peintre, l’expérience de la Chine fut rude au point de lui être même fatale. Elle tomba en effet à deux reprises gravement malade et dut interrompre un instant sa formation d’artiste. Avant son long séjour en Chine, elle avait d’abord découvert, fascinée, la pensée du vide au contact de la poésie chinoise, appris la langue et lu le grand classique du peintre Shitao Les Propos sur la peinture du moine citrouille-amère. Autorisée au début des années 80 à se rendre en Chine pour y étudier, elle connut là-bas bien des difficultés face à la discipline spartiate qui lui était quotidiennement imposée.

Loin de se décourager pour autant, elle persévéra et parvient à devenir l’élève d’un vieux maitre qui lui enseigna durant plusieurs années l’art de la calligraphie. A son contact, elle apprit l’ascèse et le dépouillement qu’exige la maîtrise de la technique de la peinture chinoise, en même temps que l’esprit qui s’y rattache. Si sa formation fut des plus pénibles, elle lui permit cependant d’acquérir cette connaissance indispensable et unique de la peinture des paysages transmise par les lettrés, faite d’observation, d’humilité et de détachement. Il s’agit de faire un avec l’objet que l’on peint, en saisissant patiemment, et en soi d’abord, le mouvement incessant des choses qui se métamorphosent sous nos yeux. Le pinceau, pareil au vol de l’hirondelle, peut alors esquisser les traits d’un caillou, et, derrière la main qui le dirige, l’âme le guide.

Il faut donc considérer cet ouvrage comme un témoignage unique. Somme de vingt années de recherches, résultat d’une rencontre culturelle et d’une imprégnation emplie de respect vis-à-vis d’une tradition esthétique millénaire et d’un savoir qui repose sur une technique qui allie la méditation au geste. En représentant fréquemment la nature, comme il est d’usage dans cette tradition, le peintre laisse résonner en lui le cosmos et jaillir de son pinceau l’unique trait. Celui qui plonge à l’origine des choses et exprime sur la toile la pureté de la sensation éprouvée au contact du monde. Il va de soi qu’un tel art, outre l’extraordinaire maîtrise qu’il implique, impose à l’artiste de se fondre dans le paysage qu’il explore, à l’instar du vieux peintre de la première des Nouvelles Orientales de Marguerite Yourcenar.

C’est cet esprit que l’on retrouve dans les oeuvres de Fabienne Verdier, qui suggère sans l’imposer la trace muette des formes mouvantes. En ce sens, ses calligraphies manifestent avec un grande force une conception unitaire de l’art contraire aux distinctions habituelles. S’enracinant dans une longue tradition, cette peinture cherche à saisir l’instant de la création dans lequel poésie et peinture se mêlent : « Le poème est une peinture invisible. La peinture est un poème visible» (Guo, XIe siècle).

Mais ce que les peintures de Fabienne Verdier parviennent avant tout à restituer, c’est sans aucun doute le sens d’une beauté silencieuse, tapie dans les choses, et qui échappe d’ordinaire au regard inattentif, agité et distrait. Chacune d’elles portant ainsi avec le geste de l’artiste, un émotion méditée devant la nature saisie dans ses nuances les plus délicates. Et l’unique trait de pinceau, souple et puissant mêlé à l’âpre force des couleurs, de nous conduire à travers ses méandres, vers le sentiment d’une harmonie issu d’une unité primordiale retrouvée.

M. S.

Fabienne Verdier, L’unique trait de pinceau Calligraphie, peinture et pensée chinoise. Albin Michel, 2001.

(Le Passe-Muraille, No 53, Juillet 2002)

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