Passagers du verbe
À propos de Passagère du silence de Fabienne Verdier,
par JLK
Le spectacle affligeant de la foire aux prix littéraires parisiens, en cet automne 2003, autant que la fuite en avant d’une partie de l’édition et de la librairie dans la course au profit, ont de quoi désoler ceux pour qui le livre reste autre chose qu’un produit de consommation, mais il n’y a pas pour autant de quoi désespérer : la vraie littérature continue de s’écrire et de se lire, ainsi d’ailleurs que Le Passe-Muraille, dans la modeste mesure de ses moyens et de ses choix, s’efforce de l’illustrer depuis plus de dix ans au carrefour des cultures et des expressions.
C’est ainsi qu’aux marges de la littérature, ou plus précisément à l’articulation même de l’écriture et du langage pictural, un récit magnifique nous semble symboliser, par excellence, le refus de consentir à l’abaissement. Il s’agit de Passagère du silence de Fabienne Verdier qui, à vingt ans, écoeurée par le vide et l’arrogance d’une certaine avant-garde artistique occidentale, a choisi de retrouver, au fin fond de la Chine encore marquée par la dévastation de la Révolution culturelle, les derniers maîtres calligraphes incarnant la survie de la tradition poétique et philosophique de l’Empire du Milieu. Avec une indomptable obstination, bravant les humiliations des apparatchiks et les moqueries de ses condisciples, ce fin brin de femme aura bel et bien acquis, auprès d’un Maître aussi exigeant que généreux, les bases d’un métier et d’un art menacés d’éradication par la barbarie, qu’elle pratique à son tour avec une maîtrise inspirée, en accord à la fois impérieux et serein avec le souffle vital.
On redécouvre en outre et une fois de plus, à lire Passagère du silence, la profonde parenté de tous ceux-là qui, de Li Po à Pessoa ou d’Héraclite à Tchouang-tseu, poètes ou philosophes, écrivains ou lecteurs de toutes les cultures et de tous les siècles, aux franges du silence en sa plénitude contemplative, pourraient être dits passagers du verbe.
JLK