Le Passe Muraille

Mélancolie du bout du monde

   

À propos d’Angelus de Tim Winton

 

Éprouve-t-on, en tant qu’Australien, « la mélancolie de ne pas savoir quelle est sa place dans le monde ? » Cette phrase de David Malouf rejoint celle de Thomas Keneally pour qui, en dehors des grandes villes, tout Australien est un étranger.

Qu’y a-t-il au-delà d’Angelus, petit port de pêche sur la côte occidentale, non loin de Perth? Devant ? Des dunes de sable, d’immenses plages désertes, une barrière de corail, l’océan Indien avec ses vagues, les belles — celles du surf — que l’on vient chercher de loin, des requins, des baleines qui alimentent la station de dépeçage où l’air empeste. Derrière? Des dunes encore, des fourrés d’eucalyptus mentholés, des forêts de karris, des canyons — un paysage minéral, beau à couper le souffle. Dans cette immensité australe, on peut rouler des heures sans rencontrer âme qui vive.

Dans le petit bourg d’Angelus habitent quelques pêcheurs de homards, des femmes qui attendent le retour des pêcheurs, des chômeurs et des tenanciers de bars, plus quelques jeunes qui eux attendent impatiemment que quelque chose se passe.

Derrière les volets des petits pavillons ou des caravanes où «même l’air semble mort », les heures s’écoulent sans trop savoir comment ou en rêvant d’un ailleurs dans une distance impossible ou d’un futur meilleur. Ceux qui le peuvent partent, mais ils reviendront un jour pour essayer de comprendre ce passé qui les hante : « Le passé est en nous et non derrière nous. Les choses ne sont jamais terminées. » Les autres restent, partagent leur temps entre l’alcool, la prise d’anti-acides, la fumette, les coups donnés ou reçus, les parties gendarme/délinquant — tout dépend de quel côté l’on est né — la religion pour aider à se rédimer.

Boner, Vic, des adolescents à la démarche chaloupée, «au corps dégageant une aura d’insouciance érotique» — incarnation de la rébellion — ou Raelene, Sherry, Bob, Peter, des postadolescents, tous louvoient entre amitié et inimitié, amours et désamours, lien fraternel et haine fratricide. Ils sont à l’embranchement de leur vie — comme le mentionne le titre du recueil en anglais The Turning — dans un déni intérieur. La mer et le ciel sont aussi pâles, bleus et lisses que le sommeil, aussi vides qu’ils se sentent eux-mêmes sur la grève léchée par les vagues.

C’est leur entreprise de fuite, leur précipitation à grandir, leur vertige devant une histoire trop lourde à gérer que Tim Winton décrit avec tendresse contenue, mélancolie et rage. La violence est omniprésente, celle de ces destins qui n’ont rien à dorloter que des espérances, si minces soient-elles et qui «laissent plus d’eux-mêmes en route que le voyage ne le réclamait».

C. J.

Tim Winton. Angelus. Traduit de l’anglais (Australie) par Nadine Gassie, Editions Rivages, 2006, 336 pages.

(Le Passe-Muraille, No 73, Juillet 2007)

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