Le Passe Muraille

Les francophones et le parisianisme

 

     

 

ÉDITORIAL

par JLK

La francophonie littéraire est-elle un reliquat du colonialisme hexagonal, ou l’expression d’une réalité multiculturelle vivante ? Un festival francophone largement déployé en France, qui fut aussi l’invité d’honneur du récent Salon du livre de Paris, suscitant une quantité de publications et, dans les médias, moult dossiers (tels ceux du Magazine littéraire et de Libération, où les Romands brillaient cependant par leur absence !), représente certes une ouverture vers le public français. Celui-ci découvre, chez des auteurs rarement étudiés à l’école ou cités dans les anthologies, un usage de la langue souvent plus proche de son expérience vivante que l’écriture « châtiée » des écrivains de France. Ainsi Bernard Pivot se félicite-t-il de l’enrichissement de la littérature française actuelle par ses « périphéries ».

Pourtant, la seule opposition d’un « centre » et d’une «périphérie» ne signale-t-elle pas une distinction de fait entre écrivains français de France, ou auteurs «naturalisés» par l’instance de consécration, et francophones dont seul Paris, une fois encore, désignerait les mérites ? L’Académicien Alain Robbe-Grillet ne peut réprimer un sursaut d’horreur lorsque le romancier marocain Tahar Ben Jelloun a le front de lui demander s’il se considère lui aussi comme un francophone. Et quand Edmonde Charles-Roux, de l’Académie Goncourt, constate que Maurice Chappaz s’exprime dans « un très joli français », sans doute estime-t-elle lui rendre justice. De la même façon, les rédacteurs des nouveaux dictionnaires de littérature française qui accueillent désormais les francophones se considèrent-ils probablement bons princes en se « penchant» sur tel Vaudois, tel Antillais ou tel Algérien.

Du point de vue de l’édition, de la répercussion médiatique et de la diffusion en librairie, les francophones (province française comprise) restent cependant les éternels oubliés du centralisme parisien, et tous les débats lénifiants n’y changeront rien. Le Tunisien vaudois Rafik Ben Salah, dont le talent vaut bien celui de moult auteurs reconnus à l’enseigne de Gallimard ou du Seuil, reste ignoré en France du seul fait qu’il est édité à L’Age d’Homme. De la même façon, lorsque Anne-Lou Steininger publie chez Gallimard un premier livre, les médias la célèbrent à Paris, pour ignorer aujourd’hui son nouvel ouvrage paru chez Campiche, pourtant meilleur que le premier, comme l’atteste l’attribution du Prix Dentan 2006.

Est-ce à dire que les francophones n’ont plus qu’à désespérer ? Si la gloire est leur seul objectif: nul doute. Mais les cultures francophones ont-elles forcément à se couler dans le moule français ? N’est-ce pas au contraire dans leur authenticité respective qu’elles vont produire des oeuvres fortes, reconnues ou pas? Un Georges Haldas, un Maurice Chappaz, un Jacques Mercanton, un Gaston Cherpillod, une Alice Rivaz ont-ils «perdu» quelque chose à ne pas quêter l’assentiment de Paris ?

Le grand écrivain mexicain Carlos Fuentes affirmait qu’en Europe la France lui semblait, aujourd’hui, le pays le plus nombriliste, le moins ouvert. Et si rester soi-même constituait la meilleure parade au provincialisme parisien ?

JLK

(Le Passe-Muraille, No 69, Août 2006)

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