Le Passe Muraille

Le Minotaure en son labyrinthe

Lors de sa dernière intervention publique en 1990, quelques jours avant sa disparition, Friedrich Dürrenmatt jetait un froid à la remise du Prix Duttweiler à Vaclav Havel en comparant la Suisse à une prison dont chaque prisonnier serait son propre geôlier. Dix ans après ce fameux discours, le monde officiel, Ruth Dreifuss en tête, s’est mis au garde-à-vous le 23 septembre pour l’inauguration du Centre Dürrenmatt à Neuchâtel en présence de près de quatre cents invités. Sur les hauteurs de la ville d’où le regard plonge sur le lac et embrasse un paysage splendide, au coeur du vallon de l’Ermitage où l’écrivain était allé se nicher en 1952, tout a été fait, et fort bien fait, pour statufier Dürrenmatt en une valeur culturelle helvétique emblématique. L’« architecte national» Mario Botta a conçu une annexe à la petite maison offerte à la Confédération par Charlotte Kerr Dürrenmatt, seconde épouse et veuve de l’écrivain (il s’était fait construire une seconde maison, non loin de la première, en 1964).

L’accouchement fut assez difficile, car le don était assorti de conditions exigeantes: réunir les tableaux et les dessins de l’auteur (quelque cent cinquante oeuvres propriété de la Confédération) en un lieu qui en assure la conservation et la diffusion. Le superbe projet de Botta (une tour d’entrée au volume jumeau de la maison et donnant accès à une sorte de caverne) a coûté six millions de francs. Sur décision de Kaspar Villiger, Berne en a lâché trois, l’Etat de Neuchâtel deux et des sponsors ont fourni le dernier. Le centre est exploité par la Bibliothèque nationale aux frais de la Confédération, avec une participation de la Ville de Neuchâtel.

Les archives que Dürrenmatt a léguées à la Confédération (impulsion décisive à la constitution des Archives littéraires suisses de la Bibliothèque nationale) restent à Berne, à l’exception de la bibliothèque personnelle de l’écrivain (quelque quatre mille ouvrages) intégralement reconstituée à Neuchâtel dans l’exacte disposition où elle se trouvait au moment de son décès. Outre sa fonction de mise en valeur de l’oeuvre picturale, le Centre Dürrenmatt se définit comme un lieu ouvert de recherches, d’études, d’échanges et de découvertes. Le mot «musée » a été soigneusement évité. «Je ne veux pas d’un mausolée », assure la directrice Janine Perret-Sgualdo. Des oeuvres de Dürrenmatt seront exposées en permanence, mais le centre envisage aussi d’en accueillir d’autres, avec la vocation spécifique d’explorer les liens entre peinture et littérature.

C’est d’ailleurs le thème de l’exposition inaugurale «Friedrich Dürrenmatt — Peintre et écrivain », somptueusement mise en scène par Mario Botta avec la collaboration de Charlotte Kerr Dürrenmatt, Peter Erismann et Ulrich Weber. Elle est visible jusqu’à la fin de 2001.

J.-B. V.

Neuchâtel, ouvert du mercredi au dimanche 11 h-17 h. Jeudi 11 h-21 h. Accueil et information : 032 720 20 70. Le centre est doté d’une cafétéria et d’une terrasse.

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