En Angleterre envahie
À propos de Résistance, premier roman d’Owen Sheers,
par Bruno Pellegrino
Septembre 1944. Le débarquement de Normandie n’a pas eu lieu. Les troupes allemandes sont sur les plages d’Angleterre. Londres tient encore, mais la tenaille des armées l’encercle. Déjà, des populations sont déportées, des villages brûlés. Les civils fuient par la route. Dans une vallée reculée du pays de Galles, les femmes se réveillent un matin pour constater le départ de tous les hommes.C’est sous le signe de cette absence que se place, dès la phrase d’ouverture, tout le premier roman d’Owen Sheers, poète et dramaturge gallois né en 1974 : «Pendant les mois qui suivirent, toutes les femmes, à un moment ou à un autre, déclarèrent qu’elles avaient su que les hommes allaient quitter la vallée.»
Pour l’héroïne, Sarah Lewis, 26 ans, cela commence par la place froide dans le lit; pour Maggie Jones, ce sont des vaches pas traites. Une à une, les quelques femmes constatent la disparition de leur mari et doivent bientôt se rendre à l’évidence: ils sont entrés dans la résistance. Il va falloir faire sans eux. Et surtout faire avec les six soldats allemands envoyés en mission dans la vallée jusque-là préservée de la guerre.
À l’instar de Philippe Roth qui, dans son Complot contre l’Amérique (200), imaginait les États-Unis gouvernés par un Charles Lindbergh sympathisant du régime nazi, Owen Sheers s’interroge sur ce qui serait arrivé si la Grande-Bretagne avait été envahie, nous rappelant au passage que les choses auraient pu tout aussi bien se passer autrement. D’ailleurs le roman, s’il n’est pas foncièrement sombre, garde le lecteur autant que ses personnages dans un équilibre précaire, sans cesse menacé, où rien n’est jamais stable – d’autant plus que le lecteur en sait aussi peu, parfois moins, que les protagonistes, quant à l’issue du conflit.Et la vallée sauvage et préservée prend peu à peu, l’hiver et la nei-ge aidant, des allures d’huis-clos.
Claire et poétique, l’écriture entraîne le récit à travers quel-ques saisons, une nature omni-présente et exigeante, une guerre à laquelle on pense, un temps, pouvoir échapper, et de vieilles histoires racontées par les poètes, des cartes du Moyen Âge mises à l’abri dans les montagnes, et surtout ces figures de femmes et d’hommes qui s’apprivoisent de force, et qui, par leur attitude, démontrent avec grandeur que la résistance n’est pas toujours là où on croit.