Le Passe Muraille

L’ incurabilité des âmes

 

Des question existentielle abordées par Tim Parks,

par Claire Julier

« Alors que je reposais le téléphone, avant que la douleur ou le remords ait pu assombrir le rapide travail de mon esprit, je me suis rendu compte, avec une lucidité troublante, que c’était la fin pour ma femme et pour moi. La fin de notre vie commune, je veux dire. »

Un homme apprend par téléphone que son fils vient de se suicider. Et parce qu’il attend l’avion pour retrouver son corps crucifié, parce que dans cette attente il réalise que, comme toujours, sa femme refuse toute consolation, parce que son oesophage l’irrite et qu’il doit préparer un entretien avec Andreotti et qu’il est submergé par la nouvelle entendue même s’il cherche à tenir à distance sa douleur pour ne pas s’effondrer complètement, confronté à une période d’inaction, une période intermédiaire, des pensées dont il se sent à peine responsable lui passent par la tête. Passant du détachement au désespoir, de détails tatillons à des réflexions d’ordre philosophique, il cherche une explication à la mort scandaleuse de son fils, il cherche un coupable.

 » Où tout cela a-t-il commencé ? » Quand l’incompréhensible surgit et que par la force des choses l’on ne peut que subir l’enchaînement des événements — lenteur du voyage de retour, arrogance des fonctionnaires, grèves, maux liés à la dérisoire biologie du corps – pour ne pas devenir encore plus fou de douleur, l’esprit part dans toutes les directions cherchant inutile-ment à se distancier de la souffrance, accomplissant par là le passage du deuil. En un vertigineux monologue intérieur, Christopher Burton patauge dans des questions sans réponse, se disperse même avec l’ironie du désespoir sur des guillemets ridicules. Il cherche à approfondir, à sortir de sa peur de regarder au fond des choses. Il autopsie le leurre de sa vie de couple – chacun enfermé dans sa manière de penser, de sentir, entièrement déconnecté, emmuré vivant. Tous ceux qui gravitaient autour de lui – sa femme, son fils, sa fille adoptive originaire de Russie – apparaissent, se dispersent, se révèlent comme autant de solitudes connexes à la sienne, se cognent contre les mots de l’incompréhension, de la trahison, du silence. « Nos vies sont parallèles à nos rêves, mais elles ne se rejoignent absolu-ment jamais. »

Possédant le savoir du professeur, la connaissance du penseur, Tim Parks explore ses références culturelles à la recherche d’une explication de la méconnaissance de soi sous forme de fiction dans Destin, sous forme de chroniques personnelles dans Adultère. Par étapes, il revient à notre culture base et re-éclaire dans notre logique du 21e siècle les mots de Platon. « Personne n’avait compris aussi clairement que lui que le monde était le lieu du change-ment et de la trahison.  » S’appuyant sur son vécu personnel d’universitaire, d’homme, d’époux, de père, d’ami, de supporter d’une équipe de football, Tim Parks analyse notre monde de standardisation où le concept d’autorité est désolément absent, où le divorce est la seule porte à notre désir de « causer de vrais dommages », enfermés que nous sommes par nos croyances, nos prétendus engagements et la démocratie une autre manière d’assujettir l’homme.

Par touches successives, il dresse un constat lucide et charitable, lorsque le mot charité était lié à l’amour comme le mentionnait Saint Paul, sur l’inintelligence et le refus que nous avons de nous-même, sempiternel belligérant rêvant de neutralité, schizophrène sans espoir de rémission. « Une tradition indienne attribue la plupart de nos angoisses au fait que l’univers n’est rien d’autre que le corps brisé et dispersé du premier dieu créateur. Nous bénéficions de sa dissolution – nous ne pouvons exister en tant qu’individu sans cela- et cependant nous aspirons à.une totalité perdue. »

C. J.

Tim Parks, Destin (Destiny), 342 pages, Adultère et autres diversions (Adultery and Other Diversions), traduits de l’anglais par Jean Guiloineau, 226 pages. Christian Bourgois éditeur.

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